Rosans et le Rosanais

Vue du village de Rosans depuis les hauteurs

Lesdiguières, seigneur de Rosans de 1576 à 1600


François de Bonne

François de Bonne est né à Saint-Bonnet, le premier avril 1543, fils de Jean de Bonne et de Françoise de Castellane, une maison noble mais pauvre du Dauphiné. Pour pouvoir quitter son pays, il emprunta, dit-on, une jument à un aubergiste, la jument d’un client, jument qu’il ne rendit jamais, mais il dédommagea beaucoup plus tard son véritable propriétaire.

Il rencontrera pour la première fois Henri IV, de neuf ans son aîné, au collège de Navarre à Paris. Puis se fit recevoir, après des études de droit à Grenoble, avocat au Parlement de cette ville, et y plaida, paraît-il, quelquefois. En 1560, à 17 ans, il fut reçu « arché comté » chez les gendarmes, le corps qui avait le premier rang dans la milice française.

Sa passion pour les armes le poussera à entrer sous les ordres du baron de Gordes, lieutenant général du roi et du Dauphiné, et quand le soulèvement protestant éclate dans le Dauphiné, il rejoint son cousin, le capitaine Furmeyer, qui mène le combat. Après la mort de son cousin, il sera désigné comme chef des protestants du Champsaur et livrera de nombreux combats. C’est à ce moment-là qu’il se fera remarquer par Henri III. Son autorité sur les huguenots du Dauphiné est pleinement reconnue, quand Henri III désigne en 1584 le roi de Navarre pour lui succéder.

En 1573 le marquis de la Charce avait fait égorger la garnison de La Motte-Chalencon, qui lui avait résisté pendant une semaine. Un combat, sans beaucoup de détails, est signalé à Montjay. Le capitaine de la Salette, qui défendait St André, capitula pour épargner ses soldats et les réfugiés présents au prieuré. Ladoucette raconte que près de la fontaine dite des huguenots, au champ des morts, on aurait trouvé, peu avant la révolution, de nombreux squelettes, tous d’hommes.

C’est entre 1573 et 1575 que Charles Dupuy-Montbrun détruisit tous les établissements et toutes les églises catholiques de la région. Ancien guidon à l’armée d’Italie, il rencontra chez sa sœur établie à Genève le milieu genevois réformé, qui le convertit. De retour à Montbrun il interdit le culte catholique dans sa seigneurie et établit un prêche pour les habitants. Successeur du baron des Adrets à la lieutenance générale des protestants, en 1574 il assiège et prend Serres, se rend maître des châteaux de Rosans et de Verclause, occupe Saint André.

Au printemps 1573, Lesdiguières prend La Mure, Veynes, reprend Corps et Romette qu’il abandonne assez vite ; Gap, investi, se prépare au siège mais ce ne sera que plus tard le 5 juin 1575 que Lesdiguières provoque une sortie des catholiques gapençais et les taille en pièces au quartier de Buzon ; l’évêque de Gap s’enfuit à la Baume-de-Sisteron.

En 1575, le 4 juillet, Dupuy-Montbrun est fait prisonnier, suite à une chute de cheval, à la bataille du pont de Blacons – on dit aussi pont de Mirabel – près de Saillans. Un témoin, le capitaine Arabin, fidèle de Lesdiguières a raconté cette bataille. « Monsieur de Montbrun arriva au pont, prié qu’il fut de l’advertissement de monseigneur des Diguières, il estoit alors appuyé sur mon espaule et n’y voulant acquiescer, s’escria: « Passe ou me lesse passer « . J’us l’honneur de le suivre de prais en cette charge ou pour recompense j’en raportay cinq coups d’espée, mais le bon seigneur y desmura prisonnier. Je fus le dix septiesmes des nostres qu’on croyait morts. L’ennemy receut plus grand eschet. Monseigneur des Diguières en deffit de quatre à cinq centz fantassins et une compagnie d’arquebusiers à cheval, commandée par le sieur de Valfanier qui y desmura »

Montbrun est jugé par le Parlement de Grenoble et décapité le 13 août 1575, sur ordre de Henri III, car il avait précédemment volé un de ses convois de fonds. Son château de Montbrun-les-Bains est rasé. On peut lui imputer la destruction de l’église Notre Dame la Blanche qui était à Rosans au-dessus de l’église actuelle. Un des rares vestiges qui en subsiste est une petite colonne sculptée d’environ 30 cm de haut : elle a été incluse dans la partie inférieure de l’œil de bœuf du petit cabanon situé sur la Place de Rosans entre l’église et la Poste.

Le 6 mai 1576, la paix de Monsieur met fin aux hostilités. Lesdiguières est élu chef des protestants du Dauphiné en remplacement de Montbrun ; il achète cette année-là la seigneurie de Serres mais les Gapençais lui refusent l’entrée de la ville. Beaucoup plus tolérant que Montbrun, il limita les exactions. L’armée réformée, forte d’environ 12 000 hommes, soit 74 compagnies de gens de pied, était dotée d’un règlement minutieux, établi lors d’une assemblée tenue à Valence le 27 janvier 1563. Elle disposait, pour la mener aux combats, de chefs « craignant Dieu et expérimentés au fait de la guerre ». Claude de Mirabel, Guillaume de Sauzet, Pape de Saint-Auban, le célèbre Montbrun, le marquis de la Charce-Gouvernet, gouverneur de Nyons. Lesdiguières, accompagné de quelques roturiers, bientôt anoblis, comme Jean Ruelle, de Serres, qui devint le capitaine Moydans, ou Bouffier de Montmorin.

C’est en 1576 que Lesdiguières achète à Delphine de Rosans, sur sa cassette personnelle, la moitié de la seigneurie de Rosans. Il fait agrandir le château, dont la partie centrale gauche, parait dater du XVe siècle, et vers 1590 ordonne la construction des écuries du « Grand Jeon », une pour les chevaux, face au château, trois à la suite, beaucoup plus basses de plafond, pour les bœufs. Deux seulement, sur les quatre, sont encore dans un état satisfaisant, la première réservée aux chevaux, en dessous de la Poste et la quatrième à l’extrémité nord. C’est certainement pour abreuver ces animaux qu’il fait capter et canaliser jusqu’à ces écuries la source de Catelane, qui coule encore de nos jours, sauf pendant les périodes sèches, vers le village.

On sait par son journal de guerre, tenu par le Juge Callignon (un des rédacteurs de l’édit de Nantes), que Lesdiguières séjourna à Rosans, au moins les 21 avril, 3 mai, 15 juin, 24 et 25 novembre 1587, et presque tout le mois de juin 1588. Ces « séjours » étaient le plus souvent des étapes entre Serres et Nyons, ou l’inverse. Ainsi l’étape du 15 juin précédait la prise de Mérindol et de Benivay, le 16, et le siège de Mollans, qui se rendit le 18 février 1589. Il favorisa à Rosans l’essor du protestantisme et y réunit en 1585 un rassemblement de gentilshommes pour traiter des affaires du parti. Mais les opérations militaires et politiques furent considérablement réduites par l’épidémie de peste de 1586.

Marié le 11 novembre 1566 à Claudine de Béranger, fille d’André Béranger, du Gua, il en eut 5 enfants, Philippe, Marie (ou Magdeleine), Henri-Emmanuel (11 avril 1580 – 1587), Bonne, Claudine. Marie, née en 1576, épouse le 24 mars 1595 au château de Puymaure à Gap, Charles, né en 1578, marquis de Créquy. Cette forteresse, construite à partir du 10 août 1580 pour Lesdiguières par un ingénieur piémontais, Ercole Negro, passé au service des huguenots sera détruite par la Sainte Ligue en 1581. Reconstruite après le 4 mars 1588, elle sera détruite, comme tant d’autres, par Richelieu.

Lesdiguières entretenait une liaison torride avec « la très belle » Marie Vignon, fille d’un commerçant grenoblois, épouse d’un marchand de tissu. Elle l’avait rencontré, dit la légende, en 1590, lors de l’entrée triomphale de Lesdiguières à Grenoble. Elle devait avoir une quinzaine d’années. Lesdiguières l’épousa, le 16 juillet 1617, au château du Touvet, après la mort de sa femme, survenue en 1608, et l’assassinat du mari légitime de Marie, Ennemond Matel, par un agent du duc de Savoie, qui voulait gagner ses bonnes grâces. 

Déjà « Dame de Moirans », elle deviendra marquise de Treffort. Il en eut deux filles, Françoise, qui épousera en 1612 Charles du Puy, seigneur de Montbrun, puis le 13 décembre 1623, Charles Créquy, l’ex-époux de sa demi-sœur, qui fut tué en 1630. Et Catherine, décédée en 1621, qui avait épousé le 10 février 1619 François de Créquy, comte de Sault, mort le 1 janvier 1677, fils du précédent. Certaines de ces dates, relevées sur Internet, ne sont pas bien compatibles entre elles.

Lesdiguières, devenu un des plus brillants chefs des protestants du Dauphiné, fut nommé Gouverneur du Dauphiné en 1591, puis devint par la suite le 27 septembre 1609 Maréchal de France, Duc et Pair, en 1611, et enfin, après son abjuration tardive à l’instigation de Marie Vignon, connétable de France et chevalier du Saint-Esprit, le 6 juillet 1622. À son apogée il détenait 78 communautés sur les 923 que comptait le Dauphiné. Ces communautés appartenaient à un peu plus de 350 seigneurs juridictionnels, qui étaient pour 12% des gens d’église, 6% roturiers, et 81% nobles. En 1620 Serres, Die et Nyons faisaient partie des places fortes, avec garnisons protestantes, autorisées par l’Édit de Nantes. 

Chef militaire hors pair, diplomate et négociateur habile, qualifié par Henri IV «de rusé comme un renard», le dernier connétable de France meurt à l’age de 83 ans, le 28 septembre 1626. Son corps est inhumé dans son château des Diguières, où le sculpteur Jean Richier lui a élevé un tombeau monumental, actuellement au musée de Gap.

En 1600 les protestants étaient, à Rosans, en majorité sur les catholiques, mais, peu à peu, leurs rangs s’éclaircirent, en 1713 on ne décomptait plus que 66 familles. En 1741, il n’y avait plus que 55 familles protestantes, sur les 185 que comptait la commune. A cette date on dénombrait, parmi les personnes en âge de communier, 130 protestants pour 350 catholiques. Malgré tout, ces non-catholiques demeuraient très obstinés, et soit en raison de leur fortune, soit en raison de leur habileté, ils possédaient l’influence et le pouvoir au sein de la communauté.

Le premier mai 1600, le fidèle lieutenant de Lesdiguières, Capitaine de ses Gardes, Jean-Antoine Dyse, – on l’appelait le Capitaine Rosans – seigneur d’Ancelle, fils de Jean Dyse, de Vaulmes et de Jeanne d’Orcières, de Valenson (mariés le 28 avril 1555), signe l’acte d’achat du Château de Rosans, que lui vend Lesdiguières. « Juridiction Haute, Moyenne, Basse, Mère, Mixte et Impaire, etc. » Lesdiguières, fait écrire dans l’acte que « les deux grandes tours, l’une près de l’autre, avec leurs régales, sont inhabitables et presque démolies ». Le prix d’achat est de 60 000 livres, 45 000 livres seront payées en deux fois, le 6 décembre 1599 et le 23 avril 1600 ; le solde, soit 20 000 écus (livres et/ou écus ! ! ?), est payé le 2 mai. Le contrat a été reçu par Maître Roux, notaire. Lesdiguières, qui projetait la construction du château de Vizille (construit de 1602 à 1624) avait besoin d’argent frais.

En 1609, le 4 décembre, Jean-Antoine achète à Jean de Morges, seigneur et prieur de Lagrand, seigneur (en partie) de Rosans, tous les biens qu’il possède à Rosans, terres et juridiction, comprenant deux grandes Tour (donc vendues pour la deuxième fois !!!!) . Le prix d’achat est de 39 000 livres, dont 6000 sont réglées le lendemain 5 décembre. Jean de Morges, qui détenait de ses parents une partie de la seigneurie, avait acheté quelques années plus tôt une autre partie de ces biens au Capitaine Jean Ruelle, de Serres. Sa famille était originaire de la région de Voiron, qui est arrosé par une rivière, la Morge.

Jean-Antoine d’Yse obtint le 23 janvier 1595 le Brevet de gouverneur de la place forte d’Exilles, de l’autre coté des Alpes, puis il fut nommé le 15 janvier 1601, nomination confirmée le 2 mars 1613, Gentilhomme ordinaire de la Chambre du roy, Louis XIII. Au nombre de ses exploits, il avait mis en déroute en 1597 une bande de 1500 Italiens qui cherchaient à envahir le Dauphiné par le col du Montgenèvre. Il s’était également signalé en 1598 lors de la prise du fort Barraux aux frontières du Dauphiné et de la Savoie.

Marié deux fois, le 29 décembre 1593 avec Benoîte Dubout, puis le 17 août 1606 avec Marie de Rivière, il semble avoir eu plusieurs enfants légitimes : René, François, et Madeleine. Deux enfants naturels : Alexandre, et Suzanne, qu’il légitima. Alexandre, fils d’Hélène Bourdet, de Chaumont, sa chambrière « encore qu’il soit incertain qu’il soit son fils » (testament). Cet Alexandre, œcuméniste, sera pasteur de l’Église Réformée à Crest et à Die. Et Suzanne « fille naturelle qu’il a accepté pour l’honneur de Dieu, encore qu’il soit incertain, si, ou non, elle est à lui » (testament).

Après sa mort – son testament, fait à Oulx, est daté du 18 août 1616 – son frère Pierre administrera les biens de son neveu et en rendra compte le 15 février 1623. Il fut certainement tué en duel par Bertrand de Genton.