Rosans et le Rosanais

Vue du village de Rosans depuis les hauteurs

Livre de raison d’Antoine Vincent, paysan de Ribeyret


La préface ainsi que tout le début du journal n’ont pas été retrouvés.

1838

Cette année là on a voulu établir un marché à Rosans. Les communes limitrophes, consultées, adhérèrent à l’idée, mais le marché n’a pu s’établir et fonctionner normalement car les marchandises et les gens ont manqué.

1844

La commune a acheté le fonds de Denizot de Catherine Blanche pour réparer et élargir le chemin du village à la route et pour en faire un chemin carrossable. Car il était impossible jusqu’alors d’arriver en charrette au village. Depuis cette rectification le village jouit enfin d’un chemin très carrossable. Le budget de la commune s’est élevé à 1140 F.

Le procès de François Lombard relatif à la Blache de Coste Belle s’ouvrit cette année là. Il ne se terminera qu’en 1852, après l’envoi de plusieurs experts par le tribunal. Le motif fut que quand le nouveau cadastre fut établi, Lombard fut reconnu propriétaire d’environ 2 hectares de la forêt communale contiguë à sa blache et dont il payait l’imposition. Mais la commune et l’administration s’y opposèrent et un procès s’ensuivit pour lequel on dit que Lombard aurait dépensé pendant ces 8 ans, plus de 2000 F avant d’être obligé d’en abandonner la propriété.

1845

Le Conseil Municipal a délibéré pour ouvrir un bureau de bienfaisance. Il a aussi décidé de réparer la cure. Le devis des travaux s’éleva à 1918 F. Les travaux furent exécutés au cours des deux années suivantes. L’intérieur et l’extérieur ont été recrépis. Cette année là le changement de jour de la foire du 12 au 8 Juin a été décidé –la commune y ayant mis quelques primes – avant de la rétablir à sa date initiale.

1846

Notre pays, et une grande partie de la France, ont essuyé de mauvaises récoltes surtout en blé. Les blés ne germaient pas. Le temps était très humide avec des grandes rosées du matin. Puis survinrent une chaleur étouffante et un air malsain qui en furent les causes. Par surcroît de malheur, le 27 juin une grêle tomba sur Ribeyret et anéantit presque entièrement les récoltes. Il se trouva des habitants qui n’eurent plus que leur semence, encore de bien mauvaise qualité. Si quelqu’un m’avait donné 30 boisseaux de bon blé, j’aurais cédé tout celui que j’avais pu récolter. Les gens étaient consternés et regardaient l’avenir avec effroi. Le prix du blé monta jusqu’à 8 F le boisseau et puis atteignit 9F 50 avant de redescendre à 6 F quand la moisson commença.

L’année suivante, en 1847, on fut obligé d’acheter du blé étranger, ou « blé de barque » qui arrivait de Marseille par Serres, le plus souvent de mauvaise qualité. Ce fut un temps de grande misère et plusieurs maisons se ruinèrent pour se nourrir ; mais sans pour autant mourir de faim, car le blé était abondant dans les magasins et finalement tout se passa mieux qu’on avait pu le craindre.

1848 : l’année de la République

Lorsque la nouvelle de la proclamation de la République fut connue dans nos campagnes, les paysans l’accueillirent avec grande joie. Il leur sembla qu’elle allait faire le bonheur du peuple entier. Ils s’empressèrent de l’acclamer et dans toutes nos communes on planta un peuplier sur la place publique.

Plusieurs communes voulurent changer leur Maire et cela occasionna des troubles de peu d’importance. A Ribeyret, le jour du dimanche gras, on planta l’arbre de la liberté. On but, on chanta et on finit par crier : « Vive l’ancien maire ! ». Il faut noter que Verdier, le maire d’alors, était impopulaire et que la plus grande partie de la population désirait fortement sa révocation. Le mercredi des cendres, une grande partie des électeurs se réunirent dans la maison commune sous le prétexte de partager une partie de la forêt communale entre eux. Mais comme le maire et plusieurs conseillers passaient pour être hostiles à ce partage, ils demandèrent la démission du conseil. Les deux tiers des conseillers municipaux – dont moi-même – démissionnèrent de bon gré. Mais les autres, dont le maire, résistèrent. On voulut la leur arracher de force et on fut sur le point de se battre. Après cela tous les électeurs – hommes de plus de 21 ans – furent convoqués pour venir voter et élire un nouveau conseil pour remplacer les membres démissionnaires ou révoqués. La majorité des électeurs étaient déjà sur place. On fit requérir les absents et tous votèrent. L’élection eut lieu dans les règles. Et parmi les nouveaux élus furent désignés : Jean Roux, Jean Bertrand, et moi-même, Antoine Vincent, tous trois démissionnaires.

Mais pour se venger le maire dénonça cette élection à la gendarmerie. Quelques jours plus tard un mandat d’amener fut lancé à l’encontre de quatre habitants. La population en fut outrée. Le maire Verdier, accusé de ces arrestations n’osait plus paraître en public. Ces citoyens arrêtés furent conduits à Gap et traînés de brigade en brigade avant de passer une nuit à la prison.

Roux, Bertrand et moi-même nous rendîmes aussitôt à Gap pour expliquer toute l’affaire aux nouveaux administrateurs du département et leur faire entrevoir que c’était l’impopularité du maire qui avait causé tout ce désordre, qu’ils voulussent bien faire remettre en liberté ces citoyens et confirmer la révocation du maire. Ils comprirent que nous leur disions la vérité et ils firent relâcher immédiatement les prisonniers. Le maire fut révoqué et Jean Roux le remplaça. Le pays garda longtemps le souvenir de ces arrestations illégales.

En 1851 lors du référendum pour le rétablissement de l’Empire, il y eut dans la commune 52 OUI et 47 NON. En 1852, une adresse de félicitations pour le rétablissement de l’Empire avait été adressé au préfet, qui fut signé par les conseillers Perret, Arnoux, André, Richaud, Lombard, adjoint et Verdier maire ; les autres conseillers, – dont moi – s’abstinrent.

1854 La maladie de la vigne

    Le commencement du printemps fut excessivement beau, la terre au mois d’avril était couverte de verdure plus que d’autres années au 20 mai. Tous les arbres avaient fleuri, les noyers chargés de noix de la grosseur de haricots. Diverses souches de vigne, qui est pourtant si en retard dans nos montagnes, montraient quelques raisins, tant la récolte était précoce. Toutes les récoltes donnaient les plus belles espérances. Hélas, le 24 avril s’éleva un vent du nord et le 25 au matin tombèrent 3 à 4 cm de neige accompagnée d’un froid violent. En l’espace d‘une heure tous les arbres fruitiers gelèrent. Des pluies abondantes tombèrent en juillet et au commencement d’août, suivies de chaleurs extraordinaires et pas une goutte de pluie ne tomba jusqu’au 19 octobre. Aucun plant de blé n’a pu germer; les cultivateurs ont craint pour leur semence et cette situation a fait augmenter les prix du blé, qui atteignit alors 20 F le quintal. Après cette pluie, le grain commença à germer et tout rentra dans l’ordre. La récolte de céréales sera généralement bonne.

    Pour la troisième année consécutive est apparu l’aïdiom, une maladie de la vigne qui a fait plus de ravages que les années précédentes. Cette épidémie qui affecte les souches a atteint les vignobles de tous les pays. C’est en vain que l’on tenta d’en arrêter la progression ; les feuilles commencèrent à jaunir ; le bois à se couvrir d’une espèce de couleur comme si on avait semé de la cendre dessus et la souche meurt. Dans un même quartier certaines souches étaient atteintes et d‘autres non. La récolte a été dévaluée de trois quart inférieur à celle d’une récolte médiocre. On compare cette année à la récolte de 1816 et pour la qualité à celle de 1811. le prix du vin est exorbitant; il s’est vendu de 40 à 45 F l’hectolitre. On remarque que plusieurs autres plantes ont une maladie semblable à celle de la vigne.

    Les prix ont beaucoup augmenté, alors que les journées, pour les moissons qui ont commencé le 20 Juillet, sont payées 1F 50.

    1854, l’année du choléra

    Jamais nous ne l’avions vu surgir dans nos campagnes, excepté en 1835 à Rosans. Il a désolé plusieurs villages de nos environs. C’est vers le 20 juin qu’il a fait son apparition à Arles ; les moissonneurs abandonnèrent les champs et, même en offrant 20 à 25 F par journée, on ne trouvait plus personne pour couper les blés. Ensuite il a envahi Avignon et de nombreux provençaux abandonnèrent leur pays pour fuir vers les Alpes. 20 000 marseillais arrivèrent à Gap, mais le choléra les avait précédés et l’épidémie se répandit dans tout le département. Il n’y avait plus de lieu assuré où se cacher.

    Les premiers symptômes se manifestèrent à Ribeyret et dans les communes voisines vers la fin Juillet. Il débuta par des maux au ventre, des vomissements, des diarrhées et dysenteries dont les trois quarts des gens furent plus ou moins affectés. Il se déclara avec violence à Gap où l’on compta jusqu’à 35 décès certains jours, ainsi qu’à St Julien et à Aspremont vers le 15 août. L’épouvante devint générale dans tous nos petits villages. Les habitants vivaient tous dans la consternation et la peur. L’attaque du moral dispose grandement au choléra, c’est ce qu’ont observé les médecins et les hommes intelligents. Le 20 août, il sévit à Rosans et on compta de 4 à 7 décès par jour.

    À Ribeyret le premier décès se produisit le 27 août et il y eut jusqu’à 5 morts un jour. 18 en l’espace de deux semaines et 20 au total dans un mois, sur une centaine de personnes affectées. Certains cas furent terribles. Les personnes se débattent et sont saisies par des crampes qui conduisent à la mort. Les remèdes que les médecins ont opposé ne l’ont guère fait dévier de sa route ; ils en ont sauvé très peu. Les gens se sont bornés à faire prendre du thé de tilleul, à tenir bien au chaud le malade en le lotionnant avec de l’eau de vie et en le frottant lors des crampes avec une pièce d’étoffe. Pour s’en préserver on avait recours à une bonne nourriture et quelques uns au système Raspail. L’administration avait prescrit certains remèdes tant pour s’en préserver que pour en guérir mais on ne s’en est presque jamais servi.

    Dans tous les pays la classe pauvre en a le plus souffert ; on a reconnu que la mauvaise nourriture, la fatigue, la saleté, les excès en tout genre, la peur prédisposaient au choléra. La question de savoir si l’épidémie était contagieuse n’a pas été entièrement éclairée. Les uns l’ont affirmé, les autres ont dit le contraire. Le fait est que dans nos pays on ne trouvait plus personne pour ensevelir les morts. Les journaux ont dit qu’en certains lieux des cadavres étaient restés 4 jours sans sépulture. Au hameau de Vaucluse à Montjay un fils fut obligé d’ensevelir son père, aidé du seul curé. Les grangers ne venaient plus au village et des voisins et amis ont laissé mourir leurs voisins et amis sans leur prêter aucun secours. D’autres ont fait leur devoir. Vincent Vitrolle et Jean Bazain ont enterré les colériques avec un dévouement qui leur a fait grand honneur. Les opinions sont partagées sur les causes de cette épidémie. Les uns disent que la maladie provient d’une plante utilisée pour se nourrir et qui a été empoisonnée par des pluies ou rosées ; les autres admettent que ce sont des petites mouches que l’on respire et qui empoisonnent le sang et le fait se coaguler.

    Le peuple dit que des individus sont payés pour le répandre au moyen de fusées empoisonnées qu’on lance dans l’air au dessus des villes et des villages ; d’autres croient qu’ils ont empoisonné les eaux et, dans ces classes ignorantes, on raconte mille histoires plus absurdes les unes que les autres.

    Certains villages des environs n’ont pas souffert du choléra : Bruis, St André, Moydans. À Ribeyret on a vu dans des maisons, 4, 5 et 6 décès. Dans la maison de Bazille Richaud, il y en a eu quatre. On ne portait plus les morts à l’église et on ne sonnait plus le glas. Pour conjurer le fléau une neuvaine a été dite à St Rambert qui a commencé le 8 septembre, journée ou nous avons enregistré 5 décès dans le pays. Tous les matins elle commençait par une procession mais les gens y participaient peu ; la panique ne les rendait pas plus dévots et malgré les exhortations du curé de se confesser, les gens restaient tels qu’ils étaient avant la maladie.

    Voici la liste des décès dans quelques pays des environs : Gap 250 morts, St Julien 40, Aspremont : 47 ; Serres : 68 ; Montclus :15, Rosans : 60, L’Epine: 20, dans toute la France : 120 000 décès.

    L’année 1855 : la construction des fontaines.

    L’hiver fut ordinaire et le printemps mauvais. Les récoltes au mois d’août furent médiocres et les plantes mouraient faute d’humidité. Les moissons ont débuté le 25 juillet. Le prix du blé est à 21F le quintal, celui du vin à 40 F l’hectolitre ; les bestiaux ont atteint des prix exorbitants.

    Cette année là on a construit les deux fontaines. Auparavant la commune n’en possédait qu’une qui coulait à l’emplacement de celle qui alimente le bas du village et était en bien mauvais état. La moitié de l’année elle ne coulait pas car l’eau était conduite par un aqueduc en mauvais état et la source qui sourdait dans la propriété d’André Richaud avait énormément diminué. La commune fut obligée d’acheter une autre source ; on demanda celle de Martin Sarrazin qu’il n’utilisait pas et dont l’eau se perdait dans le béal des Fourniès. Sarrazin en demanda 300 F ou bien la moitié de l’eau, à la charge pour la commune de lui emmener cette moitié jusque dans son fonds attenant à sa maison. La commune prit ce dernier engagement et le marché fut conclut à ces conditions. Ce fut une mauvaise affaire. On aurait du toute la retenir quand bien même cela aurait coûté 1000 F. Tout cela fut décidé sans consulter le conseil. Le maire Verdier, assisté de Jean et de Jacques Roux et de l’agent voyer, remplit toutes les formalités et eux seuls sont responsables si la commune n’a pas fait une affaire avantageuse. À leur dire, « ils avaient leurs raisons ». Ils dressèrent un devis des travaux qui s’éleva à 2000 F environ. L’adjudication se donna ; les travaux se firent mal, car l’entrepreneur Mingeon influença le maire qui devait surveiller les travaux qui se firent dans de mauvaises conditions.

    Le Conseil fut consulté pour la création de la nouvelle fontaine, assisté de M. Monthalen, juge de paix et on décida de laisser un tiers de l’eau aux habitants du haut du village, car la majorité d’entre eux souhaitent la voir couler sur la place de Saint Bernard. Pour cette nouvelle fontaine, tout fut terminé en bon ordre.

    Le 23 mois, un pèlerinage grandiose a eu lieu au Laus pour assister au couronnement de la vierge. Y ont assisté plus de 10 000 personnes dont 300 prêtres, 5 évêques et 2 archevêques, un cardinal, un envoyé du pape, des préfets, le député M. Faure, des colonels de gendarmerie et d’autres dignitaires. La valeur de la couronne de la vierge est estimée à 30 000 F, La somme recueillie en quêtant serait de l’ordre de 25 000 F.

    L’année 1856 : les inondations

    L’hiver s’est passé sans neige et sans froid. On devait remonter en 1822 pour en trouver un aussi beau. Au début du printemps, les récoltes se présentaient avec une belle apparence. Les arbres étaient chargés de fleurs et une des plus belles récoltes précoces s’offrait en perspective. Mais hélas, voilà que la première semaine de mai il fit aussi froid qu’il en avait fait pendant tout l’hiver. Environ un tiers des arbres gelèrent dans la nuit du 5 au 6. Puis les pluies arrivèrent, qui empêchèrent les travaux des champs. Accompagnées de fortes chaleurs qui accélérèrent la fonte des neiges, elles causèrent de grands ravages dans les pays voisins. Dans le Briançonnais des ponts, des fabriques et des maisons furent emportés ; les fleuves, le Drac, la Romanche, l’Isère, le Rhône, la Loire atteignirent des hauteurs d’eaux jamais vues ; les crues dépassèrent de 2 m, celles de 1840 et de 1846. A Lyon 15 000 personnes étaient sans abri.

    Les moissons commencèrent le 18 juillet, la journée de travail se payant alors 2 à 2,50 F. Mais le 2 août un nuage formidable se forma sur Chanousse et Orpierre et une grêle épouvantable accompagnée d’un torrent d’eau emporta ce qui restait de la récolte. L’Eygues fit des ravages ; là ou les blés n’avaient été coupés, tout fut perdu. Puis la maladie des pommes de terre refit sentir ses effets dans plusieurs pays. Tous ces événements, ainsi que les maladies de la vigne et la médiocrité des récoltes provoquèrent une grande cherté des vivres et du bétail. Le blé se vendit à Rosans 21 F le quintal le 15 mai, et 25 F le 29 Juin aux foires de Rémuzat et de Serres, et toujours 25 F en septembre. Le vin atteignit 55 F l’hectolitre ; les poires les plus mauvaises se vendirent 7 F le quintal et les noix 3 F, 50 le double, les amandes, 7 F. La misère fut grande cette année là. Si les plus pauvres ne souffrirent pas de faim, ils durent épuiser leurs ressources jusqu’au dernier centime et ne possédaient plus rien à la fin de l’année. Le vin se vendit 35 F l’hectolitre et les pommes de terres 58 F le quintal.

    L’année 1857 : la comète et le mal des bœufs

    L’hiver fut très froid en janvier, la terre étant couverte de neige. Dans le cours de l’année le temps fut propice à toutes les récoltes et l’abondance de grains ramena le bon marché. On peut considérer que cette année donna de bonnes récoltes en blé et en autres céréales, une grande quantité de pommes de terres, bien que la maladie en ait détruit un bon tiers. Le blé qui en début d’année valait 20 F le quintal n’en valait plus que 12 à la fin, le vin ne se vendit qu’à 25 F l’hectolitre et les poires campanettes 4 F le quintal. Les moissons commencèrent le 23 juillet, le prix de journée étant de 1F 95. Les journaux nous annoncèrent qu’une comète allait heurter la terre le 13 Juin, l’embraser et la détruire en partie. Les gens ne s’en épouvantèrent pas et quand le jour arriva, ils ne manifestèrent aucune crainte. Comme rien ne se produisit on a bien ri de cette prédiction, formulée par le très savant Chanoine Lansberg de Liège qui nous avait menacé de ce terrible événement.

    A la fin de Juillet se déclara dans les environs de Serres, une maladie des bœufs et bêtes à bats. Divers propriétaires perdirent leurs bœufs et montures. Les vétérinaires de Gap se rendirent dans les lieux pour les soigner mais n’obtinrent pas grand succès. La maladie débutait par une enflure du poitrail et la mort s’ensuivait peu après. On a dit que des mouches en piquant ces animaux leur avaient communiqué la maladie. A Ribeyret il y eut peu de cas, mais tout près, à L’Épine de nombreux mulets périrent.

    L’année 1858 : les calamités habituelles

    L’hiver fut assez tempéré et sans neige. L’inconstance du temps retarda le début des travaux et à la fin avril on avait presque rien fait. Le 9 mai il tomba une gelée blanche dont souffrirent les vignes, les luzernes et les noyers. La moisson commença le 12 juillet, les jours de travail étant payé 1,50 F. La récolte de blé fut médiocre dans nos pays, alors qu’elle fut très abondante partout ailleurs. Les fruits d’assez médiocre qualité ne se vendirent que 4 F le quintal. Une grande abondance de noix et d‘amandes baissa leur prix à 2 F à 2, 50 F le double. Le vin qui valait alors 25 à 30 F l’hectolitre, ne se négocia qu’à 16 F. Apparu aussi une maladie du vers à soie.

    La récolte des fourrages fut modeste, aussi le bétail se vendit mal et on perdit 7 F par brebis femelle et 150 F sur une paire de bœufs. Les propriétaires restèrent embarrassés par le commerce qui allait mal.

    Dans plusieurs pays voisins, les sauterelles firent de grands ravages. A Ribeyret elles dévorèrent plusieurs pièces de pommes de terre et les tables de haricots des jardins au dessous de la route.

    Vers le 17 septembre apparut une extraordinaire comète d’une longueur de plus de 100 m. Le soir jusqu’à la tombée de la nuit on la voyait au Nord Ouest et le matin elle était toujours apparente au Nord Est. Elle fut visible jusque vers le 20 octobre. Tous s’accordèrent à dire qu’elle annonçait quelque grand événement.

    La viande de cochon se vendit cet hiver-là 70 centimes le kilo, la laine 65 F le quintal et le blé de 4 à 5 F le double.

    1859 : l’année de la fièvre typhoïde

    Jamais on ne vit un si bel hiver et un si beau début de printemps. Mais dans la nuit du 31 mars au 1er avril, le gel affecta une grande partie des noyers dans le bas de la commune. Le temps se remit au beau et la récolte promettait d’être abondante. Au 15 mai, les blés étaient à moitié épiés. Les moissons commencèrent le 15 juillet et la journée de travail des moissonneurs, payée de 3,50 à 4 F par jour, un tarif élevé et jamais vu dans le pays.

    Mais il n’en fut pas de même à la fin de l’année. Un froid des plus terribles s’est déclaré vers la mi décembre, accompagné de vents violents du nord, qui augmentèrent jusqu’au 22 du mois et on dit qu’un tel froid n’avait plus été enregistré depuis au moins 80 ans.

    En fin de compte, les moissons furent médiocres en blé d’hiver. On ne cueillit aucun fruit et très peu de noix. Les pommes de terre furent rares et se sont vendu 5 F le quintal. Seule la production de vin a été abondante et s’est vendu 28 F l’hectolitre.

    A Ribeyret, la catastrophe de l’année fut la fièvre typhoïde qui a fait des ravages. Elle est apparue vers la mi avril et nous a emporté de 15 à 20 personnes, petites et grandes, de tout age et de toute conditions. Des mères de moins de 40 ans ont été frappées et il y a eu bien peu de maisons sans malade. On compte 32 décès dans la commune sur l’année, chiffre effrayant pour le pays. La maladie commence par de grands maux de tête, un mal d’estomac et une fièvre cérébrale qui précèdent souvent la mort. D’autres sont pris de mal au ventre et de la gorge. La médecine a été impuissante et la conviction de gens est qu’elle n’a sauvé aucune victime. MM Charras et Bonnet nous ont servi comme médecins. Les habitants se sont entraidés les uns les autres, sans crainte de la contagion. Les pays limitrophes n’ont eu que quelques cas de cette épidémie.

    1860 : Une bien mauvaise année

    L’hiver a été très froid. La terre a gelé profondément. Il a tombé peu de neige, mais le froid s’est prolongé jusqu’au milieu du printemps et le 1er Mai la terre ne donnait toujours aucun signe de départ de la végétation. Noyers et amandiers avaient gelé le 20 avril. Les blés ont beaucoup souffert de cet hiver et on fut obligé de ressemer plusieurs champs. Les moissons ont débuté le 25 juillet, mais le temps était sans chaleur et les blés ne pouvaient mûrir. Elles ont été très longues et la journée de moissonneur a été payée 1F 25. Les récoltes d’avoine et de pommes de terre ont été assez abondantes, d’autant que des maladies de cette plante avaient fait de grands ravages dans les pays où on les arrose. Le blé s’est vendu 5 F le double ; le vin 30 F l’hectolitre, les poires 4 à 5 F le quintal, tandis que les prix du bétail ont baissé.

      Des pluies discontinues ont rendu difficile le foulage et à la fin octobre on pouvait voir encore beaucoup de gerbes dans les champs ce qui était exceptionnel dans notre pays. Le 1er septembre une grosse pluie qui tomba pendant 3 heures fit de grands ravages : des terres furent emportées ; sillonnées par les béals ou remplies de gravier. Des chemins, des routes furent aussi enlevées en plusieurs endroits. Dans la vallée de l’Eygues, la route fut emportée sur plus de 100 mètres au niveau de Pelonne ainsi que le pont de Rémusat. Il faut remonter à 1840 pour constater une si grande abondance d’eau de pluie.

      Quelques faits divers de 1860

      À Montmorin une maison a brûlé et une femme qui l’habitait est morte. L’incendie a eu lieu pendant la nuit et on a découvert le sinistre que le lendemain matin. A Larboudaysse, un enfant de 2 ans s’est noyé dans un réservoir d’eau. À L’Épine, un suicide par pendaison a eu lieu. Un jeune homme du nom de Pascal devait se marier. Mais le mariage ne se fit pas. Par désespoir il se pendit.

      À Ribeyret une mission a été prêchée par les pères Séverin Blanc et Jouve, ainsi que par le curé Roux de La Piarre. Mais une douzaine de personnes, qui ne comptent pas parmi les plus défavorisées, ne se sont pas confessées. La mission a commencé le 2 décembre et s’est terminé le 20 de ce mois. Personne n’a su qui avait donné l’argent pour l’organiser.

      Nous avons aussi tenu les élections municipales.

      1861

      L’hiver fut tempéré avec peu de neige. Le printemps fut très sec et les pommes de terre ne germèrent pas faute de pluie. La récolte de fourrage fut des plus réduites. L’été fut aussi assez sec. Mais chez nous, les blés grainèrent assez bien et furent assez abondants alors qu’ailleurs les récoltes étaient très mauvaises. Il s’est vendu 13 F le quintal. Les noix furent abondantes et se sont vendues 2 F le double; aucune poire ni pomme. La récolte de vin fut médiocre, de 20 à 23 F l’hectolitre.

      Faits divers

      Un enfant de 10 ans s’est noyé dans un réservoir d’eau au quartier de l’Ubac.

      Une comète ayant une queue d’environ 1 mètre de longueur est apparue au couchant.

        1862 : Encore une année médiocre

        L’hiver fut très beau et sans neige. Les vieillards dirent ne jamais en avoir connu de tel. La végétation fut très en avance, d’au moins un mois, à cause de cette douceur de l’hiver. Mais le 14 avril le vent du nord se mit à souffler ; il tomba un peu de neige et tous les arbres fruitiers gelèrent de Rosans à Montclus. Le 2 mai la grêle tomba sur le col des Tourettes, sur l’ubac et sur L’Épine, et les récoltes furent entièrement détruites. L’armanouche ( ?) a encore soufflé plusieurs jours.

        Les moissons commencèrent le 5 juillet, qui furent payées 2,50 F la journée.

        Les récoltes de blé furent médiocres et il se vendit 15 à 18 F le quintal. On ne récolta ni fruit, ni amande, ni noix. Les pommes de terre furent peu abondantes et celle du vin satisfaisante qui se vendit de 25 à 30 F car l’oïdiom, la maladie de la vigne, fit à nouveau des ravages dans plusieurs pays.

        Faits divers 

        À Rémuzat, un jeune homme à qui on interdisait d’épouser une fille qu’il aimait, lui donna la mort en lui coupant le cou avec un couteau. Il tenta de se tuer mais ne fit que se blesser et il guérit. Il a été jugé et condamné à la peine capitale. Il a été guillotiné à Valence. Le 27 octobre un berger fut assassiné à Villeperdrix pour lui voler son troupeau. L’assassin fut arrêté à Nyons, emmenant une quarantaine de brebis.

        L’année 1863 : Émeute contre le curé

        L’année a été empoisonnée par une polémique ridicule entre le curé Bégou et la sœur institutrice, qui était très estimée par les habitants pour tous les efforts qu’elle déployait pour apprendre aux petits enfants qui fréquentaient sa classe. Son local d’école qui dépendait de l’église avait deux portes, l’une donnant sur la rue et l‘autre sur la place Saint Bernard. Vers la fin janvier, sans raison, le curé décida de fermer cette dernière de façon que la sœur et les familles ne pouvaient plus l’utiliser et en furent très contrariées. Une quinzaine de mères de famille qui apprirent le fait se transportèrent chez la sœur, parvinrent à ouvrir la porte et firent face au curé qui voulait faire des remontrances. Il s’en suivit un très vif échange de paroles désagréables que ni les femmes, ni le curé n’osèrent rapporter. Le maire fut obligé d’intervenir pour dissiper ce qui commençait à ressembler à une émeute. Le curé écrivit alors au couvent de la Providence de Gap pour demander de rappeler la sœur en l’accusant de ne pas se conduire très bien. Les autorités de la commune défendirent la cause de la sœur et lui conseillèrent de résister. Plusieurs lettres véhémentes furent écrites et échangées, mais à la fin, la sœur décida de partir, au grand regret de la population, non pas pour retourner à son couvent, mais chez son père à Châteauroux, laissant de bons souvenirs dans la commune.

        Pour se venger du curé qui avait fait partir la sœur et dénoncé l’émeute de femmes, la jeunesse du village s’amusa à chanter des chansons satiriques près du presbytère et aussi à arracher quelques buissons à la haie du jardin du curé. Celui ci porta plainte devant la justice. Le juge de paix et les gendarmes vinrent enquêter. Heureusement aucune accusation ne fut portée et la justice étouffa l’affaire, car rien de ce qui s’était passé ne méritait la moindre condamnation.

        Le procédé du curé irrita vivement la population, qui décida de réagir en organisant pendant le carême, des fêtes et des bals – ce que le curé ne prisait guère – où jeunes et vieux, hommes et femmes dansaient tard dans la nuit. Le dimanche de gras, fut organisée une farandole d’au moins 250 personnes des deux sexes. Des gens marqués parcoururent le village et ces manifestations se poursuivirent jusqu’au dimanche de la Passion.

        Le curé ne trouvait plus personne pour lui servir la messe. Il en fut très effrayé et s’en alla trouver l’évêque. A son retour il annonça en chaire, qu’une nouvelle religieuse serait envoyée dans la paroisse et il ne manifesta plus aucune animosité, pour le grand plaisir de la population qui ne pouvait plus le supporter. Il quitta Ribeyret à la fin mars 1863 et fut bien peu regretté par la population. Le maire n’avait pas osé écrire au préfet ou à l’évêque pour le faire changer. C’était donc l’évêque, qui voyant sa position difficile, avait pris les mesures pour en débarrasser le pays.

        A la suite de cet incident, l’évêque Bernadon vint faire une visite. On lui a fait une réception brillante. Le Conseil municipal et la population allèrent l’accueillir en procession au béal de Dindoret. Il a confirmé une trentaine d’enfants et a déploré les danses à l’adresse de l’abbé Bégou, mais n’a rien dit –ni en faveur, ni contre- ce dernier. Il a visité le cimetière et la cure et est reparti en remerciant la population du bon accueil qu’on lui avait réservé. Le curé Albert, qui a remplacé Bégou, est arrivé le 27 août

        L’hiver a été très beau, mais vers le 15 février il tomba une énorme quantité de neige qui fondit assez vite et le temps revint au beau. La moisson commença le 10 juillet et les journées payées de 2, 50 à 3 F . Le blé s’est vendu 15 F le quintal au 1er septembre et la poire campanette atteignit le prix de 5 F le quintal. Vers la fin août il tomba une grande abondance de pluie et un ouragan cassa ou arracha une grande quantité d’arbres.

        Les brebis se sont vendues à des prix en forte baisse par rapport aux années précédentes. Il en fut de même du gros bétail qui avait atteint des prix jamais vus.

        À Sorbiers en mars en en avril, a sévit une étrange épidémie de rhume qui a fait plusieurs victimes.

        1864 : Toujours le mauvais temps

        L’hiver fut froid, sec et sans neige. Le printemps commença par des chutes de neige et une vague de froid. Les cultivateurs manquent de fourrage et sont en peine pour amener leur bétail jusqu’à la bonne saison. De nombreuses bêtes, surtout des brebis, ont péri faute de nourriture suffisante. Le foin est cher ; il se vend 7 à 8 F et il ne s’en trouve pas ou est de mauvaise qualité. Le printemps est passé sans que les semis ne puissent germer. La terre n’a trempé que le 7 juin. La moisson commença le 15 juillet au prix de journée de 1F,50. En septembre le blé se vendit 13 F le quintal. Faute de fourrage, on ne peut se débarrasser du bétail car il ne se vent qu’à moitié prix des années précédentes. La récolte de blé fut assez bonne, ainsi que celle du vin – qui se vend à 15 F l’hectolitre – et des fruits en grande quantité.

        Parmi les faits divers, on notera : en Avril, un homme de Rosans s’est suicidé par pendaison après s’être confessé et avoir reçu la communion. En Juillet, à St André de Rosans, un autre homme s’est pendu à un arbre dans la campagne, près de Sironne. Un jeune homme de Pommerol a été assassiné sur la route en se rendant chez lui, à Réotier. L’auteur du crime reste inconnu. Et à Ribeyret un enfant de 3 ans s’est noyé dans la fontaine d’Etienne Marrou.

        Les élections au Conseil général se sont tenues. M. Montlahuc, de Rosans, qui n’avait aucun concurrent, a été élu.

        1865

        L’hiver fut très inconstant : peu de neige – alors que dans des pays voisins il en tomba 2 à 3 mètres au tout début du printemps -, grand froid. Comme l’an dernier, le bétail périt faute de nourriture le foin est rare et se vend jusqu’à 8 F le quintal. Le 1er avril ce temps tourna au beau et le restera toute la saison. La moisson commença le 12 juillet et on offre 1F 75 la journée. Les blés sont bien grainés et la récolte fut bonne. Il s’est vendu au prix de 13 F le quintal. L’été fut chaud ; les raisins mûrirent bien à bonne heure et on vendangea partout à la St Michel. La production de vin, qui se vendit 7 à 8 F à Rémuzat, a été très abondante. Par contre, on a récolté très peu de noix et de fruits. La production de pommes de terre fut médiocre, car elles furent atteintes d’une maladie qui pourrissait leurs racines.

        Le principal fait divers fut la destitution du notaire de Rosans, natif de St André, entraînant la privation de ses droits civiques.

        L’année 1866 : la nouvelle cloche

        L’hiver et le printemps furent tempérés. Les moissons commencèrent le 15 juillet et les journées se payèrent 3 F, mais les blés étaient tout rouges de rouille et de bien mauvaise grenaison. Dans tous les pays voisins de la vallée, on estime avoir obtenu une demie récolte, mais dans d’autres contrées et notamment dans la vallée du Buëch, on n’a même pas récolté la semence. Le blé s’est vendu 5,50 F le double. On a récolté beaucoup de fourrage, mais bien peu de noix, de fruits et de vin, vendu 15 F l’hecto. A l’entrée de l’hiver le bétail s’est vendu beaucoup plus cher qu’au printemps.

        Cette année là une retraite fut organisée à Ribeyret et en sonnant pour avertir les paroissiens de cet événement, la grosse cloche qui pesait environ 150 Kg s’est cassée.

        Les habitants l’estimaient beaucoup à cause de sa sonorité qui se faisait entendre à une grande distance. L’administration et la commune décidèrent d’en acheter une nouvelle. Mais les fonds manquaient. La commune s’endetta de 500 F. Pierre Verdier donna 100 F et Madeleine Lombard 50 F. On obtint un secours de l’Etat de 400 F et on passa commande à un marchand de cloches de Lyon qui nous en a expédié une nouvelle. Elle pèse 386 kg et son prix s’est élevé à un peu plus de 1400 F. Le prêtre desservant de la paroisse, l’Abbé Albert, a réuni le Conseil municipal à la cure afin de choisir le parrain et la marraine. Il fut délibéré que Pierre Verdier serait le parrain et Madeleine Lombard la marraine. La cloche fut baptisée le 4 juin sur la place Saint Bernard en présence de 4 ou 5 curés du canton, de M. Montlaluc, conseiller général, du conseil municipal au complet, du conseil de fabrique et de presque tous les habitants de la commune. La cérémonie terminée, les prêtres dînèrent à la cure et le Conseil municipal se porta en corps à l’auberge, où il dînât à l’invitation du parrain de la cloche, M. Verdier. Ce jour là, la commune fut en fête comme si c’était un dimanche. Tout se termina dans la plus grande tranquillité et à la satisfaction quasi unanime des gens. Si la cloche est de bonne qualité et plus grosse que l’ancienne, la commune le doit à l’Abbé Albert qui est un homme intelligent et très attaché à ses paroissiens, ainsi qu’à notre maire, M. Roux qui connaît bien les moyens pour obtenir des fonds et fut sensible au besoin d’une cloche qui puisse s’entendre de très loin, car des habitants vivent dans des hameaux très éloignés.

        Le pays a vécu deux faits divers tragiques. À St André un meurtre a été commis par Auguste Samuel, natif de Bellegarde (Drôme), marié à la fille de Sylvestre, le garde forestier. Un matin on entendit deux coups de fusil, puis, peu de temps après deux autres coups dans la maison du Sieur Sylvestre. Les voisins s’y transportèrent, mais la porte était fermée à clé. On appela Samuel, mais personne ne répondit. On monta sur le toit et on descendit dans la maison après avoir enlevé des tuiles, puis une planche du plancher et on vit Samuel et sa femme gisant dans leur sang. La femme avait reçu deux coups de feu. Samuel s’était tiré un coup de pistolet sous le menton, mais qui ne fut pas mortel. Il eut la force de charger son fusil, l’appuya sur son estomac et fit partir la détente avec son pied. Cette fois le coup lui fut fatal. C’était un homme d’un caractère violent vivant avec sa femme en très mauvaise union.

        Le 12 juin, la femme Bouillet de la Baume, en allant au bois sur Risoul, trouva près de la croix, un homme pendu à un pin. La justice s’y est transportée. La pendaison datait de 10 jours. L’homme s’était pendu avec ses bretelles et sa cravate. On a appris qu’il était originaire du Pègue. Ses frères sont venus le reconnaître, ainsi que ses vêtements. Son moral était très dérangé. Il a été inhumé sur le lieu même où il s’était suicidé.

        1867 : Le sous-préfet dans la neige

        Le 14 janvier, de fortes chutes de neige commencèrent, qui se poursuivirent le 15 de façon continue. Le 15 au soir la terre était recouverte de 75 cm. Le 16 une tempête se leva qui amassa des amas de neige si hauts que jamais personne n’en avait vus d’aussi formidables dans le pays. Plusieurs habitants furent obligés de descendre par leurs fenêtres pour sortir de leur maison. On creusa des galeries pour aller chercher l’eau, se rendre aux écuries ou communiquer entre voisins. Ces chutes étaient enregistrées dans toute l’Europe. Les chemins de fer s’arrêtèrent plus de 8 jours. Des trains avaient été arrêtés en pleine campagne et de nombreux voyageurs ont failli périr en se rendant aux pays les plus rapprochés.

        Chez nous, la circulation de la diligence de Gap à Orange fut complètement interrompue pendant 4 jours. On a mesuré jusqu’à 4 à 6 mètres de neige sur certains points de la route. La voiture de descente fut arrêtée dans la descente du Col La Saulce. Elle transportait le sous-préfet d’Embrun se rendant à Avignon. On réquisitionna 15 hommes de l’Épine, mais ils ne purent arriver que chez Dupoux à Grime, tous perclus de froid, ayant du abandonner la diligence sur la route du col. Le sous préfet dut séjourner 3 jours chez Antoine Roux, aubergiste et il repartit très satisfait de l’accueil qu’il avait reçu des gens de Ribeyret et de ceux qui l’avaient hébergé. Il donna 20 F pour les indigents de la commune et paya généreusement ses dépenses. Il se nommait Lebourgeois.

        Nous sommes restés 3 jours sans aucune nouvelle de l’extérieur. La couche de neige est restée visible pendant 15 jours. Aucune victime ne fut à déplorer chez nous, mais ce fut le cas dans plusieurs pays environnants.

        Le 23 mai, le vent du nord se mit à souffler. Dans la nuit du 24 au 25 il tomba un peu de neige qui fondit dans la nuit. Le vent cessa et un terrible gel se produisit qui laissait des filets de glace de 1 cm. Les vignes, les pommes de terre, les haricots furent grillés ; les noyers gelèrent. Les populations furent consternées de voir tant de dégâts. Le vin qui valait 17 F l’hectolitre monta aussitôt à 23 F.

        1867 : Le faux miracle de Saint May

        Vers la mi avril un bruit se répandit qu’à Saint May, une fille du nom de Mourier, qui était la sœur du maire, avait guéri miraculeusement un enfant aveugle. De tous les pays environnants une foule afflua pour voir cette fille. La justice s’empara de l’affaire et interdit à la fille de recevoir quiconque qui voulait être guéri ou la voir par curiosité.

        Elle annonça que le dimanche 24 mai suivant, pendant la messe, au moment de l’élévation, des pierres viendraient se placer d’elles mêmes dans les fondements ( ?). Le bruit en circula très loin et le dimanche suivant plusieurs milliers de personnes affluèrent à Saint May, certaines venues depuis Marseille. Une brigade de gendarmerie fut dépêchée et des sentinelles furent placées à la porte de la maison de cette fille, interdite de sortie. On pouvait à peine la voir marcher dans sa chambre en récitant des chapelets. Les visiteurs, dont beaucoup espéraient être guéris, chantaient des cantiques ou priaient. Mais rien ne se produisit et le soir chacun se retira déconcerté et regrettant d’être venu, parfois de si loin.

        Le bruit couru que c’était le curé de la paroisse qui avait tenté d’influencer cette fille assez fanatique et simplette pour ramasser de l’argent, et de fait les dons faits à l’église s’élevèrent à un montant important. Ces faits furent parait-il dénoncés à la justice par un autre prêtre des environs qui jugeait cette manière d’agir de son confrère, inacceptable.

        Chez nous le curé Michel a remplacé le curé Albert le 1er septembre. (Il restera dans la paroisse jusqu’en 1873 et sera remplacé par le curé Vincent, qui malheureusement perdra toutes les sympathies de tous ses paroissiens et sera remplacé en 1893 par l’abbé Garcin).

        Cette année là on moissonna vers le 10 Juillet; les journées se payaient 1,50 à 2 F. la récolte fut médiocre, mais elle fut bien plus mauvaise presque partout ailleurs. Le froid du 24 mai et la mauvaise grenaison avaient réduit la récolte à un tiers. Le blé se vendit 7 F le double décalitre. Une grande misère pesa sur la population. Si le blé ne manquait pas, c’était l’argent pour l’acheter qui faisait défaut, car les prix atteignirent des niveaux exorbitants. La mendicité qui avait presque disparue envahit nos campagnes. En Provence la disette était encore plus forte par suite d’une sécheresse qui avait empêché le blé de germer. Elle se poursuivit toute l’année et ce n’est qu’en mai de l’année suivante que les pluies tombèrent. On dit que des famines ont ravagé la Prusse et la Russie. On a aussi appris par les journaux qu’une grande famine sévissait en Algérie et que les arabes se sont mangés entre eux. Ces journaux citent des cas de mères de famille qui, pour survivre, auraient dévoré leurs enfants.

        1868 : L’année des inondations

        Les blés ont beaucoup souffert des orages de printemps et sans une pluie bienfaisante qui tomba au début de mai, la récolte aurait été perdue. La cherté du blé s’est ralentie et on a fait une bonne récolte, peu de gerbes, mais bien grainées. Les moissons débutèrent le 8 juillet, la journée payée 2 F et le blé s’est vendu de 5 à 6 F l’hectolitre Le raisin a mal mûri et la récolte de vin a été médiocre, qui s’est vendu 23 à 24 F l’hectolitre à Rémuzat. Les pommes de terre furent abondantes mais on n’a cueilli aucun fruit. Les brebis, trop maigres valaient de 4 à 5 F de moins que les années précédentes. On enregistra une forte mortalité des ruches sans savoir à quoi l’attribuer.

        Le 13 août, vers 3 h. du soir une pluie torrentielle tomba pendant plus de 3 h, sur le vallon que baignent l’Oule et l’Eygues. Les terres furent ravinées et creusées de ravines atteignant parfois 2 à 3 m de profondeur; des bandes de terre végétale furent emportées en plusieurs endroits sur des largueurs de 20 à 30 m. Les torrents et rivières débordèrent et atteignirent des hauteurs effroyables et jamais vues. Les récoltes des champs en bordure de ces rivières furent emportées et les arbres arrachés. À Rémuzat, l’eau atteignit le second étage des maisons et dans la gorge de Saint May elle s’éleva de plus de 15 mètres. Des écuries et des caves furent inondées et se remplirent de gravier. De nombreux animaux périrent et tout le pays fut plongé dans une consternation indescriptible. De Rosans à Sahune, la route a été arrachée sur plusieurs points. Les ponts de Pizerolle à Rosans, de Verclause et de Curnier sur l’Eygues, de Cornillac sur l’Oule ont été emportés, ainsi que bien d’autres de moindre importance. Plusieurs troupeaux ont péri dans les étables. Ainsi à Ribeyret Jacob dit Barillon a perdu 52 moutons. L’eau de la rivière qui ne pouvait pas passer sous le pont a reflué et a rempli ses écuries où se trouvait son troupeau. Seules quelques bêtes ont pu être sauvées. De mémoire d’homme on a jamais dans nos pays vu une pluie si forte et si continue. Il faudra très longtemps pour réparer les dommages causés par cette catastrophe. Ce même jour, au plus fort de la pluie, un homme qui passait chez nous prit peur et donna des signes de démence. Il alla se jeter dans l’Esclatte au quartier du Jésuillet. On retrouva son corps à Toulay, terroir de St André.

        A l’élection du conseiller général, M. Montlahuc, notaire de Rosans, était à nouveau sans concurrent. Il a été élu avec 780 voix. Le même jour a eu lieu l’élection du conseiller d’arrondissement. M. Lachau fils d’Aspres qui était opposé à M. Ravoux de St André. Lachau a été élu, par 518 voix contre 384. M. Monthaluc qui n’avait trouvé aucun candidat assez sérieux à opposer à M. Ravoux a fait voter pour Lachau que personne ne connaissait ici afin de faire échec à Ravoux. Mais peu de temps après Lachau a démissionné et la lutte très vive, s’est poursuivie entre Ravoux et le nouveau candidat Jacques Roux, maire de notre commune. Ce dernier l’emporta en obtenant 411 voix contre 408 à Ravoux.

        À la suite de la démission de M. Monthaluc, cette même année, M. Itier de Serres, un homme très distingué, fut élu conseiller général le 27 décembre. Soutenu par le maire Jacques Roux, il a obtenu une nette majorité dans notre commune et les voisines. Il était opposé à M Faure, avoué à Gap, proche de Ravoux.

        L’année 1869 : de bien médiocres récoltes

        Les récoltes ont été médiocres en fourrage, en blé, en pommes de terre, en noix et en fruits. On a moissonné vers le 15 juillet en payant 2 F la journée de moissonneur. Le blé s’est vendu 4 à 5 F le quintal. Les fruits de 3 à 5 F les 50 kg. Le temps des semailles est passé sans que ne tombe une quantité de pluie suffisante pour faire germer le blé et la pluie n’arriva que le 15 novembre. À la fin de l’année aucune pousse de blé n’était encore sortie de terre, ce qui inquiéta beaucoup les agriculteurs. Il fallu attendre le mois de mars suivant pour le voir sortir.

        Le hangar de la fontaine du village a été construit, moyennant un secours accordé par l’État et grâce à quelques journées fournies par les habitants intéressés.

        Aux élections du député, la lutte fut vive entre Duvernois, candidat du gouvernement, Guiffrey et Chaix, candidat des Républicains. Les employés, les magistrats et les fonctionnaires ont mis en pratique tous les moyens, bons et mauvais pour faire triompher Duvernois qui a obtenu 17 506 voix contre 4 454 pour Guiffrey et 3 825 pour Chaix, sur 28 000 votants.

        1870 : l’année de la guerre

        Elle restera mémorable par la guerre que l’Empereur a déclaré à la Prusse le 18 juillet. Cette guerre a épuisé toutes nos réserves et a fait partir toute la classe des jeunes hommes qui devait tirer au sort en 1871. Le 4 septembre, la République a été proclamée, mais elle fut accueillie sans enthousiasme dans nos pays où les habitants sont avides des nouvelles du théâtre de la guerre. On voit les gens accourir en foule au devant du facteur pour lui demander des nouvelles. Nous nous sommes retrouvés jusqu’à 25 à la cime du village pour attendre le courrier. Toute la population vit dans la consternation et l’inquiétude. Les militaires de moins de 30 ans ont été appelés sous les drapeaux et les hommes valides de moins de 40 ans doivent suivre. Le canton a fourni 122 hommes dont 17 de Ribeyret. Ils ont élu leurs chefs. Ont été élus le capitaine Antoine Perret de Vaucluse, les lieutenants Hyppolite Truphémus et Jules Davin de Rosans et le sous-lieutenant Jean Richaud de Ribeyret. Le 6 décembre les hommes mobilisés ont été appelés et rassemblés au chef lieu de canton et le 8 ils sont partis pour Gap. Plusieurs habitants les sont accompagnés, leur ont offert à boire le long de la route et tous ensemble ont chanté la Marseillaise. Ce départ des mobilisés a attristé et dérangé bien des familles. Néanmoins tous sont partis sans la moindre résistance. On ne compte dans le canton que 2 volontaires, Joachin Eydoux de Ribeyret et Henry Jacob de Moydans.

        Le 9 juillet, le Conseil municipal avait voté 400 F pour la défense nationale qui ont été pris sur le fonds disponible de la commune. Les communes voisines ont fait de même, donnant un peu plus ou un peu moins. Après le 4 septembre, le gouvernement de défense nationale a organisé la garde nationale et ordonné qu’on fasse des exercices. A Ribeyret, ces exercices, auxquels les gardes se rendaient presque tous, ont été exécutés pendant 2 mois, à raison de 2 jours par semaine. Il en a été de même dans les communes voisines.

        1871 : Une année d’élections

        Les élections des 3 députés du département ont été très animées. Ont été élus le Républicain Chaix avec 12 000 voix, le monarchiste de Ventavon avec 8 000 voix et au second tour un dénommé Cézanne d’Embrun. Le canton fut organisé en 3 bureaux de vote à Rosans, Montjay et Bruis. Les 42 électeurs de Ribeyret se sont rendus ensemble à Rosans et ont presque tous voté pour M. Chaix et pour un autre candidat, Maurice Garnier, ancien député. Puis ils sont tous allés dîner à l’auberge Bégou.

        Eurent lieu aussi les élections du conseiller général – où Montlahuc fut à nouveau opposé à l’avoué Faure – et du conseiller d’arrondissement ou se retrouvèrent face à face, Ravoux et Jacques Roux. Mais ce furent Faure et Ravoux qui cette fois obtinrent la majorité des voix.

        Et enfin le 30 avril se sont tenues aussi les élections municipales.

        1872 et 1873 : deux années sans histoire

        Rien de bien remarquable au cours de l’année 72. Les récoltes ont été mauvaises. Le blé ne valait que 5 F le double ; les autres prix de vente ont tous été très modérés.

        La commune a fait élargir de près de 1 mètre la rue de la cime du village depuis l’angle du Praïel jusqu’au serre de Chaussène, à raison de 1 F le mètre. Le mur de Truphémus a dû être refait. La dépense totale fut de 180 F. La commune a aussi fait planté des acacias sur la place Saint Bernard.

        En 1873, rien d’extraordinaire non plus. Les récoltes ont été médiocres. Le double de blé s’est vendu de 5 à 6 F ; les moissons ont eu lieu en temps normal et furent payées 2, 50 F la journée.

        1874 : une bonne année

        L’année avait mal commencé et le printemps augurait bien mal à cause du manque de pluies : les prés, les blés, les semences avaient mauvaise allure. Mais au début Juin une pluie bienfaisante tomba suivie de chaleurs et les récoltes se mirent à croître avec une rapidité extraordinaire. La moisson commença le 15 juillet avec de beaux blés, bien fournis et grainés comme rarement vus et aussitôt leur prix tomba à 4 F. Toutes les autres céréales réussirent à merveille. Tous les arbres fruitiers croulaient sous les fruits ; les fourrages furent abondants ainsi que le vin. Rarement récoltes furent aussi importantes. Tout a réussi à merveille. Cette année comptera sans nul doute comme celle des meilleures récoltes du siècle. Devant une telle abondance, tout se vend modérément.

        1875 et 1876

        La récolte de 75 a été médiocre mais il y a un peu de tout, qui se vend à des prix modérés. Rien de remarquable en 1876 excepté le froid des 13 et 14 avril qui a fait geler les arbres fruitiers et a occasionné de grandes pertes à tous les agriculteurs. Tout le reste a été assez moyen et normal.

        La circonscription de Gap a élu comme député Cyprien Chaix avec 10 966 voix sur 12 300 votants. M. de Ventavon et Xavier Blanc ont été élus sénateurs du département.

        1877

        Cette année on a récolté peu de blé, vendu 4, 60 F, le double, mais assez de fourrages, de fruits, de noix et amandes. Les noix se sont bien vendues, jusqu’à 5 F le double, le bétail se négocie aussi à des prix élevés, notamment les petits cochons.

        Les nouvelles élections législatives ont donné lieu à une lutte acharnée. Tous les fonctionnaires publics, les employés de l’administration et le clergé ont fait de grands efforts pour faire élire Eugène Bontoux, candidat officiel et clérical, contre le député sortant républicain Cyprien Chaix. Dans ce but le Préfet avait destitué, révoqué et changé un grand nombre d’employés et de maires et suspendu des conseils municipaux. On a tracassé ou frappé tous ceux qui avaient manifesté le moindre signe d’opposition au candidat officiel et tout a été mis en œuvre pour le faire gagner. Bontoux a été effectivement élu avec 8 116 voix contre 7 343 à Chaix. À Ribeyret on donna 55 voix à Bontoux et 33 à Chaix.

        Aux élections des conseillers général et d’arrondissement, Faure et Ravoux ont été réélus contre Montlahuc et Jacques Roux, notre maire, même si à Ribeyret ces deux derniers ont obtenu une large majorité des voix.

        1878

        Cette année a été marquée par la production de peu de blé et de peu de pommes de terre et d’aucun fruit – les arbres ayant à nouveau gelé – mais par celle de beaucoup de fourrages. Le blé vaut 5 F le double ; les brebis ne se vendent pas comme les années précédentes, les petits cochons sont très bon marché, à partir de 12 F et les gras se vendent de 80 cent à 1F le kg.

        Vers la mi-novembre la neige commença à tomber et ces chutes se poursuivirent jusqu’au 12 décembre avec chez nous, une couche de 60 cm. Les voyageurs furent arrêtés; les trains ne circulaient plus, on resta plusieurs jours sans courrier. Les provisions de bois étaient insuffisantes pour se chauffer; les troupeaux étaient à l’étable depuis le 15 novembre.

        Le phylloxéra sévit avec une forme plus marquée que les années précédentes et toutes nos vignes en ont été infectées. On alla acheter du vin à Orpierre ou Laragne qui se vendait à la récolte de 30 à 40 F l’hectolitre et on le payait 60 centimes le litre à l’auberge. Sa consommation a beaucoup diminuée.

        De nouvelles élections municipales eurent lieu le 6 janvier, comme dans toute la France. Le 27 janvier, on procéda à la réélection du député car Bontoux avait été invalidé. C’est Chaix qui a été élu et Bontoux n’a recueilli que 2 000 voix.

        Un incendie s’est déclaré le 11 mars vers midi dans le bois au quartier des Champons. La cloche a sonné et environ 150 personnes s’y sont rendues et l’ont éteint. On ignore comment il a pu se déclarer.

        1879 : Une mauvaise année pour les agriculteurs

        La récolte de l’année n’a pas été abondante : très peu de blé – payé 5 F le double -, presque aucune pomme de terre, pas de noix ni d’amandes, très peu de poires, qui se vendent de 15 à 20 F les 100 kg, un prix jamais vu – et de raisins – vendus 25 F les 100 kg. Les fourrages coupés ont été en quantité médiocre. Une sécheresse avait sévi à l’automne précédent et les blés ont eu bien du mal à sortir de terre. Le printemps a été pluvieux à ne pas pouvoir travailler. L’été a été peu chaud : les moissons – payées de 2 à 2, 50 F la journée – ne commencèrent qu’au début août, tandis que les raisins ne parvenaient pas à mûrir. Dès le mois de novembre le temps fut très froid et ces températures basses se sont maintenues jusqu’à la fin de l’année.

        Les brebis se vendent mal, 5 F de moins que les années passées et il en est de même pour les cochons. Bref une bien mauvaise année.

        La chaire de l’église a été remplacée. Elle a coûté 325 F et a été faite par Félix Depeyre, menuisier établi au village depuis quelques années.

        1880 et 1881 : des pages manquent

        L’année 1882

        Les récoltes ont été médiocres tant en céréales qu’en fruits. Les moissons commencèrent vers le 12 juillet, à 2,50 F la journée. Les fruits se vendirent assez mal, sauf les prunes sèches perdigonne qui se sont vendues 85 F les 100 kg. Le froid avait fait geler les noyers et les noix triées se sont bien vendues à 45 F. Les animaux se sont aussi bien vendus.

        Deux faits divers

        Le jour de la foire de Rosans du 15 mai vers 11 heures du soir, le sieur Colomb de Saint André, habitant aux Eyssanières a assassiné le dénommé Lombard du même hameau sur le chemin de Rosans, pour le voler et se venger de quelques menaces. Les coups ont été portés avec un corps dur et avec les pieds. Le cadavre portait plusieurs blessures. Colomb a été condamné aux travaux forcés à perpétuité. Son père était originaire de Ribeyret et issu d’une honnête famille.

        Le galetas de la maison de Jean Bouillet au village, a brûlé. Vers 11 h du soir l’instituteur en allant se coucher a vu des flammes. On a aussitôt sonné la cloche; les habitants du village et ceux des Granges arrivèrent au secours et l’incendie fut rapidement maîtrisé malgré un vent fort. On a craint un moment pour les maisons voisines du bas du village, mais heureusement l’incendie ne s’est pas diffusé. Les pertes ont été estimées à 4 ou 500 F . Le feu a été communiqué par la cheminée en mauvais état. La commune lui a voté une aide de 50 F et le bureau de bienfaisance lui a attribué 40 F. Les habitants l’ont aidé à transporter les matériaux utiles pour réparer le toit, ce qui a permis de réduire la perte.

        L’adjudication du chemin du bois partant du béal du Dindoret a été donnée courant juillet. Le devis s’élevait à 16 000 F et un rabais de 2 300 F a été consenti. L’achat des propriétés pour le chemin a coûté 1500 F. la commune a dû emprunter à la caisse des chemins vicinaux 300 F à 4% amortissables en 30 ans. L’État a donné 75% du montant ; les propriétés prises par le chemin ont été payées par des indemnités convenues et les propriétaires en ont reversé la moitié à titre de dons, attendu que ce chemin leur rendrait de grands services en augmentant de moitié la valeur des terrains. Il y a eu une enquête de commodo-incommodo et 9 habitants ont été d’avis que le chemin devait partir de Grime pour aller jusqu’au bois. Les travaux ont été ouverts en septembre et les fondements du pont sur la rivière ont été jetés par les entrepreneurs Bouchet et Pouchol de Serres.

        Année 1883

        La température de l’année fut à peu près bonne pour les récoltes, qui furent cependant médiocres en céréales et réduites en fruits, noix et amandes, suite à des gels, intervenus le 12 mars dans certains quartiers. Les poires se vendent bien ; les certaux atteignent des prix jamais vus, jusqu’à 30 F les 100 kg. Le blé vaut 4 F le double et a peu d’acheteurs. Par contre le bétail se vend à des prix élevés, surtout les brebis qui ont atteint des prix que jamais personne n’avait vu.

        La lutte a été acharnée lors des élections des conseillers général et d’arrondissement qui opposaient les mêmes candidats. Si Faure a été réélu pour le premier poste, c’est Jacques Roux qui a remporté le second contre Ravaux. A Ribeyret Roux a obtenu 97 voix sur 105 votants contre 7 à Ravoux, qui a eu la majorité des voix à Saint André, à Montjay et à Bruis. Mais tout s’est passé convenablement et une seule plainte a été déposée auprès de la préfecture qui ne l’a pas retenue

        L’année 1884

        Les récoltes ont été moyennes et se sont vendues aux prix des années passées. Il a gelé aux premiers jours d’avril et les arbres fruitiers en ont souffert surtout dans le haut. La sécheresse a porté quelques torts aux fourrages.
        Le chemin du bois a été livré à la circulation. Les habitants ont aussitôt commencé d’aller rechercher leur bois avec des charrettes et ils trouvent que ce chemin leur rend de grands services. Il a finalement coûté plus de 10 000 F, plus 9000 F de frais pour travaux imprévus. La commune n’a déboursé que 1100 F et il reste 2000 F sur les fonds votés.

        Notre région a été endeuillée par deux crimes. À La Baume de Saint André, Antoinette Taxil a été assassinée par Joseph Gordon qui voulait l’épouser. Mais elle avait toujours refusé. Dans le courant du mois de mars il alla la trouver chez elle un dimanche pendant le temps de la messe, alors qu’elle était seule dans la maison. Il lui tira deux coups de fusil. Elle s’effondra, foudroyée. Le meurtre accompli, Gordon monta dans la montagne de Risoul et se suicida en se faisant sauter la cervelle avec son fusil.

        A Montmaurin, dans le courant de l’été, le nommé Dupoux tira un coup de fusil sur le nommé Done, garde chasse, pour se venger d’un procès verbal de chasse que ce dernier lui avait infligé. Le meurtre accompli, il s’enfuit et fit une telle résistance aux gendarmes que toute la population fut requise pour le prendre. Il tira plusieurs coups de fusil sur ceux qui le poursuivaient et il en blessa un grièvement. A la fin, il fut pris et fut condamné au bagne à perpétuité.

        L’année 1885

        La récolte de blé a été mauvaise. Suite à une grande sécheresse qui avait sévi en automne dernier, il avait plu un peu vers le début septembre et ceux qui semèrent à cette époque réussirent, mais la plupart avaient laissé sécher la terre avant de semer leur grain et celui ci n’est sorti de terre qu’au mois de mars. Un grand nombre de cultivateurs ont attendu et n’ont semé leur grain qu’à la fin de l’hiver. La récolte a été moitié moins de celle des années normales. Nous manquons de blé pour la consommation et les habitants seraient très gênés s’ils n’avaient pas utilisé des réserves de vieux blés. On s’attendait à une augmentation des prix mais il n’en a rien été; les blés étrangers sont arrivés en abondance et le cours n’a pas varié. Les autres récoltes ont été médiocres et tout s’est vendu aux prix des années précédentes. Seul le prix du bétail a été plutôt à la hausse.

        La commune a fait réparer la fontaine pour une dépense de 400 F et quelques habitants intéressés ont exécuté ces travaux sous ma direction. J’ai été désigné comme délégué de la commune aux élections sénatoriales avec Gautier comme suppléant. Les deux seuls candidats étaient Xavier Blanc qui a obtenu 322 voix et Guiffrey 289 voix sur 370 grands électeurs inscrits. Il n’y a pas eu de lutte.

         L’année 1886

        Les récoltes de l’année ont été à nouveau médiocres et leur vente difficile. Les prix des denrées se sont maintenus aux niveaux assez bas de ceux des années précédentes. Malgré une récolte convenable en fourrage, le bétail s’est vendu à vil prix ; il manqua d’acheteurs pour les brebis, les moutons valent 12 à 14 F pièce, les brebis de 8 à 10 F, le prix des bœufs a baissé de 150 F la paire, seuls les cochons se vendirent bien. Le prix du blé a varié de 38 à 48 F le double.

        Nous avons connu en automne de fortes pluies qui ont beaucoup nuit aux travaux des champs. Elle sont commencé le 25 octobre et se sont poursuivies sans arrêt jusqu’au 20 novembre. Elles ont causé des dommages aux propriétés en provocant des éboulements ou en emportant et en ravinant les terres. Ces pertes ont été évaluées à 1000 F pour la commune et nous sommes parmi les moins mal traités de la région. Dans d’autres pays et dans les départements voisins, des gens se sont noyés, des maisons ont été emportées ou se sont écroulées et une infinité de bétails a péri.

        Le chemin du village au béal de Dindoret a été rectifié à travers le pré Mouret. L’adjudication a été donnée par la Préfecture à un Piémontais pour un prix de 2 200 F, 1300 F de travaux et le reste pour indemniser les terrains.

        Année 1887 : la terre a tremblé

        Les récoltes ont été médiocres. On a récolté un peu de tout, mais sans dépasser la moyenne. La vente des denrées a suivi un cours ordinaire, le blé s’étant cependant vendu 50 centimes par double de plus que l’année précédente. Le bétail est à des prix assez bas, qui diminuent depuis les années précédentes; les moutons se vendent encore mais on ne parvient pas à se débarrasser des femelles pour 10 F ; les bœufs ont perdu un tiers de leur prix d’achat.

        L’hiver n’a pas été très rigoureux mais a été très long. Il a commencé à neiger le 20 décembre et la neige a recouvert la terre d’une épaisseur de 25 cm qui s’est maintenue jusqu’au 15 mars. Les travaux de la terre n’ont pu commencer qu’à la fin mars.

        Un tremblement de terre s’est fait sentir dans la contrée, ce que nous n’avions jamais connu de notre vie. Le mercredi des cendres, à 5H et demie du matin dans la plupart des maisons on s’est senti bercer dans son lit ; les meubles et les ustensiles de cuisine se sont mis à tressaillir et ont fait un bruit épouvantable ; les poules, les chiens et les chats se sont mis à pousser des cris perçants pendant quelques secondes et presque toutes les horloges se sont arrêtées. Les gens ne savaient pas à quoi attribuer tous ces bruits. Aucun dégât considérable n’a été occasionné. On a ressenti ce mouvement dans les environs ; à Moydans des tuiles d’un toit sont tombées sur un autre provocant une crevasse. Mais ce séisme a occasionné de grands malheurs dans les Alpes Maritimes.

        Un éboulement considérable s’est produit dans le vallon de la Damme qui a emporté une partie du champ de Mourier ainsi que le chemin qui venait d’être rectifié ; d’autres propriétés ont changé entièrement de place. Les propriétés prises sous l’éboulement souffrent de grands dégâts et la commune ne voit pas quelles mesures prendre pour y remédier.

        Année 1888

        Les récoltes de cette année ont donc été médiocres, sous tous les rapports ; la vente des denrées marche comme aux années ordinaires, excepté pour les fruits, poires et pommes qu’on ne parvient à vendre à aucun prix ; les seules poires qui se sont vendues un peu sont les certaux qui ont valu jusqu’à 7 F les 100 kg au commencement, puis plus personne n’en a voulu. La viande de cochon est aussi très chère et se vend de 160 à 185 centimes le kilo.

        Il n’y a pas eu d’été, pas une seule semaine de chaleur; il a plu beaucoup toute la saison. Les blés ne mûrissaient pas et les moissons n’ont commencé qu’au début août et ont été terminées à la fin du mois dans les quartiers élevés ; les blés ont médiocrement grainé ; les pluies ont beaucoup gêné le ramassage de toutes les récoltes. Les pommes de terre, qui étaient assez abondantes, pourrissaient en terre ; il n’en resta que la moitié.

        Les élections municipales ainsi que les élections sénatoriales ont eu lieu. M. Chaix qui n’avait aucun concurrent, a été élu sénateur en remplacement de M. Guiffroy décédé. Victor Girousse a été le délégué de la commune, avec le maire comme conseiller d’arrondissement. M. Flourens a été élu député à la place de Chaix, avec 12 635 voix contre M. Euzière, le maire de Gap , qui n’a obtenu que 11 076 voix, sur 31 120 inscrits et 24 000 votants. La lutte a été vive entre les deux candidats ; les employés ayant presque tous voté contre le candidat du gouvernement qui était Euzière.

        Cette année on a installé une nouvelle cloche qui remplace celle qui avait été achetée en 1666 et qui s’étant fendue était hors d’état de service. Elle a été donnée en échange de la nouvelle pour la somme de 500 F. La nouvelle cloche pèse 384 kg soit quelques kilos de plus que l’ancienne. L’opinion des gens est qu’elle n’est pas aussi bonne que l’ancienne. Elle a été montée et mise en place par les maçons du pays, Eugène Jonas et Jean Hugues pour la somme de 50 F. Le parrain et la marraine ont été choisis par le Conseil municipal et par le Conseil de la fabrique. Le parrain est Jacques Roux le maire et la marraine Victorine Gauthier. Elle a fait des jalouses, et plusieurs femmes qui auraient souhaité en être la marraine n’ont fait aucun don. Pour la payer on a obtenu 300 F, donnés à la fabrique par le Ministère des Cultes sur l’insistance de notre ancien député Gaurençon, M. Albert, notre ancien desservant, curé de la Bâtie Neuve a donné 100 F. Enfin 100 F fournis par l’État pour la réparation du clocher ont été détournés pour l’achat de la cloche. On l’a baptisée le jour de l’Ascension sur la place en présence de 6 ou 7 prêtres ainsi que d’une grande affluence de monde et même d’étrangers au pays.

         Année 1889 : mauvaises récoltes

        Le printemps a été très pluvieux ; les cultivateurs sont dans la désolation ; ils ne peuvent rien faire, rien préparer pour leur jardinage ; nous arrivons à la fin juin et pas une seule pomme de terre, ni autres légumes n’ont été planté. Jamais on avait vu de tels retards dans les travaux. Les moissons n’ont commencé qu’à la fin juillet et l’été passa sans chaleur. La récolte de blé a été très médiocre : peu de noix, de prunes et d’autres fruits, pas de pommes de terre et de carottes ; en un mot les récoltes furent mauvaises ; heureusement le bétail s’est vendu à des prix élevés qui indemniseront un peu les cultivateurs des pertes sur leurs récoltes.

        Antoine Vincent est décédé à la fin de cette année 1889.

        Liste des maires et adjoints de la commune et élections municipales de Ribeyret.

        • De 1789 à 1793 : J Mourre et Colomb
        • De 1793 à 1804 : Antoine Vincent (mon père)
        • De 1804 à 1816 : Jacques Roux, adjoint Antoine Vincent
        • De 1816 à 1818 : Antoine Arnoux,
        • De 1818 à 1821 : Antoine Perret
        • De 1821 à 1829 : André Richaud
        • De 1829 à 1835 : Pierre Verdier
        • De 1835 à 1837 : Antoine Arnoux. En 1833 mon père Antoine Vincent, adjoint depuis 1804, a démissionné et j’ignore qui l’a remplacé.
        • De 1837 à 1846 : Jean Roux. En 1840, Mathieu Rabasse et Antoine Jacob furent remplacés par Joseph Garnier et Pierre Joubert.
        • En 1843, Antoine Vincent, décédé et Perret, sortant, sont remplacés par Jacques Roux et par Jean Jacob.
        • En 1846, Perret, J Bertrand et moi, Antoine Vincent sommes entrés au Conseil.
        • De 1846 à 1848 : Pierre Verdier
        • En 1848, démission du Conseil ; ont été réélus Perret, J Bertrand et moi, Antoine Vincent.
        • De 1848 à 1851 : Jean Roux
        • En 1851 : Pierre Verdier
        • En 1852 : Eydoux et Michel Truphémus ont été nommés, qui n’avaient jamais été élus.
        • En 1855 entre Antoine Gautier, fils
        • En 1860, Jacques Roux, maire
        • En 1870 J Roux a été réélu avec 82 voix sur 104 votants, Antoine Gauthier 76 voix, Victor Brun 66, M et Antoine Truphémus, 59 et 58, Antoine Vincent, Jacques Martin et J. Bertrand, avec 55 voix. Et au second tour Eysseric et Antoine Eydoux.
        • Le 30 avril 1871 : les mêmes ont été réélus, excepté Eydoux remplacé par Girousse.
        • Le 22 novembre 1874 : tous ces conseillers ont été réélus avec de 40 à 60 voix sur 66 votants, exceptés 3 sortants. Dupoux est entrant.
        • Aux élections du 6 janvier 1878, 3 conseillers sortants dont l’un décédé, ont été remplacés par Oddou, Jean Gauthier et Pierre Thore
        • Elections de 1888 : Victor Girousse et Victor Brun n’ont pas été réélus, remplacés par Antoine Arnaud et Jules Thore, celui-ci au second tour par 58 voix sur 85 votants, sur 114 inscrits et 105 votants au premier tour.

        Source : Notes d’Antoine Vincent