Rosans et le Rosanais

Vue du village de Rosans depuis les hauteurs

La Traversée des Alpes par Hannibal


Printemps / été 218 avant Jésus-Christ

Proposition d’itinéraire faite par Louis Montlahuc (1896)

La seule étude qui compare et associe les textes de deux auteurs : Polybe (qui a parcouru la région en interrogeant des témoins, une cinquantaine d’années après l’événement) et Tite-Live (qui a consulté, à Rome, les documents de l’époque).

Louis Montlahuc, notaire et maire de Rosans, dans les Hautes-Alpes, de 1871 à 1877, examine leurs récits à la lumière de ses connaissances érudites, et les reporte dans la réalité du terrain, grâce à une parfaite connaissance des espaces situés entre la vallée du Rhône et les cols alpins. J’ai complété son étude par certains détails, glanés ici où là.

L’itinéraire complet est indiqué ci-après.

Cette traversée des Alpes constitue un exploit historique authentique, qui a de tous temps enflammé les imaginations, au point que de nombreux « chercheurs » ont démontré et continuent à démontrer avec beaucoup d’autorité qu’Hannibal est passé chez eux, que ce soit en Savoie, en Isère, ou en Provence.

Et voici le vrai itinéraire de la traversée de la Haute-Provence et des Alpes, itinéraire raisonné et circonstancié, tel que l’a compris et expliqué Louis Montlahuc.

En fait, avant Hannibal, les Gaulois avaient de nombreuses fois traversé les Alpes pour porter la guerre en Italie, mais … sans éléphants.

Cette traversée se situe au début de l’automne 218 avant Jésus-Christ, alors que les premières neiges étaient tombées sur les Alpes. Elle constitue le premier acte de la deuxième guerre Punique. A cette époque, l’Espagne et la Gaule étaient constituées de peuples indépendants, Rome venait tout juste de conquérir la partie sud de la botte Italienne. Au nord, son autorité s’étendait seulement au dessous de Pise ou Florence. Au sud Rome rivalisait avec Carthage pour obtenir l’hégémonie dans la Méditerranée occidentale, particulièrement en Sicile, en Sardaigne et en Corse. La première guerre Punique, qui avait duré 25 ans, avait vu Rome prendre le dessus, porter la guerre en Afrique, assurer son contrôle sur la Sicile.

Hannibal, qui avait juré à son père Hamilcar « Barca » (la foudre) de détruire Rome, voulait porter un coup fatal à l’impérialisme des Romains.

Ce n’est certainement pas le vrai visage d’Hannibal. Il était âgé de 29 ans au départ de l’ expédition.

Ce visage est une composition effectuée par un professeur de Barcelone lui donnant des racines grecques et puniques.

D’après Polybe, Hannibal, parti de Carthagène en Espagne avec cinquante mille hommes de pied et neuf mille chevaux, est arrivé en Italie dans la plaine du Pô en cinq mois et demi, avec douze mille Africains, huit mille Espagnols et six mille chevaux. Polybe, qui avait lu ces chiffres sur une stèle édifiée par Hannibal au cap Lakinion, précise qu’il avait perdu la moitié de ses hommes en route.

Pour donner une idée de l’énormité de ses chiffres rappelons qu’une légion Romaine, par exemple, était seulement composée de 6 000 hommes.

Le Commandant Étienne, dans le bulletin de la Société d’études des Hautes-Alpes (1918 page 1) donne des chiffres pour préciser la longueur de cette armée. Il envisage en premier lieu un chemin normal avec 4 hommes ou 4 bêtes de front : chaque rangée occupe soit 1,50 m, soit 4 m en longueur. Le convoi de 50 000 hommes s’étendrait sur 19 km, plus les 9 000 cavaliers, 9 km, plus les 4 000 bêtes de charge, 4 km, soit au total 32 km. Il faudrait 8 heures, s’il allait à la vitesse de 4 km/h, pour le voir passer. Il prend exemple du trajet Gap – Chorges, soit 17 km et calcule que si le premier départ s’effectue à 4 heures, les arrivées à Chorges s’échelonneront de 8 heures à 16 heures. Dans un chemin muletier de montagne, où tout le monde doit marcher à la suite, il trouve respectivement 50, 36 et 16 km, soit un convoi de 102 km, qui mettrait 25 heures à s’écouler. C’est en gros la distance de Gap au col du Montgenèvre.

Ce qui prouve amplement que les chiffres donnés sont irréalistes et peu fiables.

Polybe indique qu’il y avait 40 éléphants à la bataille du Tage, et 37 à la traversée du Rhône. Il précise plus loin que tous, sauf un, moururent de froid en Italie, au moment du solstice d’hiver, après la bataille de La Trébie. Les Carthaginois n’avaient plus, à cette époque, beaucoup d’éléphants disponibles. Pendant la guerre précédente Hasdrubal avait débarqué en Sicile avec une troupe qui en comptait 140 ( Livre I, ch.1, 38).

Polybe indique qu’en règle générale, les éléphants étaient placés au centre du dispositif, face aux fantassins ennemis, qu’ils dispersaient et écrasaient sans qu’ils aient aucun moyen de se défendre. Il indique aussi qu’ils n’étaient efficaces qu’en plaine, car en zone montagneuse ils n’étaient pas assez mobiles et ne pouvaient pas se déployer.

Après un repos hivernal dans la plaine du Pô, Hannibal bat les Romains à Trasimène en – 217, puis à Cannes en – 216. Enfermé à Capoue (les délices de Capoue !), il ne peut faute de renforts prendre Rome. Rome porte alors la guerre en Afrique. Hannibal est rappelé, mais il se fait battre à Zama ; la victoire de Rome sera totale, Carthage sera détruite (il n’en reste rien, même aujourd’hui) et son peuple sévèrement contrôlé. Après cette défaite Hannibal se retire en Orient, où à l’âge de 54 ans il s’empoisonne pour échapper aux Romains, qui investissent la Bithynie où il vit.

Sources historiques

Deux historiens légèrement postérieurs à cet exploit l’ont tour à tour raconté :

  • Le premier Polybe, était un Grec de Megalopolis (Arcadie) qui a vécu d’environ – 200 à – 120 avant Jésus-Christ. Il fit partie après Pydna (- 168) des 1000 otages emmenés à Rome et de ce fait y vécut 16 ans, fréquentant beaucoup de Romains très importants. Âgé de 40 ans à son arrivée, Il voyagea à travers l’Italie, la Gaule, l’Espagne et l’Afrique, amassant quantité de matières pour ses écrits. Il écrit : « Je parle avec assurance de toutes ces choses, parce que je les ai apprises de témoins contemporains et que je suis allé moi-même dans les Alpes, pour en prendre une exacte connaissance « .
  • Le second Tite-Live, était un historien Latin, né à Padoue en – 59, mort à Rome en + 17. Il a écrit une histoire Romaine, hélas! inachevée et incomplète, de l’origine à – 9 (avant Jésus-Christ). On n’a conservé que 35 livres sur les 142 qu’il a écrits.
  • Hannibal aurait emmené avec lui deux historiographes, Sosylos et Sinelos, qui auraient écrit un récit de l’expédition, récit qui ne nous est pas parvenu. Polybe a dû sûrement connaître ces deux écrits avant son expédition de reconnaissance, et s’en inspirer. Tite-Live peut être aussi.

En 1846, un bulletin de l’Académie Delphinale donne un aperçu de la thèse que M. Imbert-Desgranges avait exposée en détail le 7 août de cette année. Ce dernier explique les raisons – c’est-à-dire de fausses traductions – qui ont amené certains historiens antérieurs à impliquer l’Isère ou la Saône dans cette expédition. Et il confirme que le vrai nom indiqué par Polybe est la Scoras, qu’il identifie à l’Eygues. Il donne, pas à pas, un itinéraire plus que détaillé qui par Guillestre et le Queyras conduit au col La Croix. Il précise, à propos de l’affirmation « la constellation des Pléiades étant sur leur déclin » en citant Pline (Hist. Nat. livre2, chapitre 47) et Varron, que la date d’arrivée au col est le 10 novembre.

En 1896, Louis Montlahuc publie à la Société Libre d’Éditions des Gens de Lettres, 12 rue d’Ulm à Paris, un opuscule intitulé : « Le vrai chemin d’Hannibal à travers les Alpes ».

Bien documenté, bien argumenté, il donne les textes des deux historiens (traduits par J. A. C. Buchon, édition 1842 pour Polybe, par Nisard édition 1839 pour Tite-Live), assortis de racines grecques ou latines, et des commentaires nécessaires à sa démonstration.

Louis Hyppolite Montlahuc, né à Rosans le 28 août 1845, écrit : « natif des Alpes, pendant 20 ans je les ai habitées, après ma sortie du collège ». Son père, notaire à Rosans, fut de 1865 à 1868 maire de Rosans. Louis, marié à Eugénie Millet en 1907, décédé au Perreux (Seine), était qualifié de « rentier » lors du mariage de sa sœur Mathilde en 1869. En fait il devait être notaire, comme son père, car un contrat de mariage, établi en 1874, porte sa signature. Il fut maire de Rosans de 1871 à 1876. On ne sait pas à quelle date il s’établit à Paris.

La trame des voies Romaines

Il se fonde, bien que les Romains ne s’y établiront de façon nette qu’environ 200 ans plus tard, sur la trame des voies Romaines dans cette région. Il faut signaler, cependant, que dans une région tourmentée comme les Préalpes, les Romains ne pourront qu’utiliser et améliorer les cheminements existants. 

C’est à partir de ses indications que j’ai établi la carte ci-dessous :

Les Romains, pour gagner l’Italie, préféraient la voie par Dea Augusta (Die) la capitale des Voconces, à celle passant par Clarus Mons (Pelonne), qui était trop difficile pendant la période des grosses eaux. Pourtant de Augusta (Aouste) à Mons Seleucus (La Bâtie-Montsaléon) le chemin était sensiblement plus court, et l’altitude du col plus faible : 800 m pour le col de Prata Mansii (Flachière) contre 1.180 m pour le col de Cabre.

Mansio Boarium (Bouvières), qui fait référence aux bœufs, devait être une grande halte. Il existait au pied de chaque col un lieu exprimant l’idée d’emploi de bêtes de trait. C’était là que les chariots trouvaient un renfort de bœufs pour monter les cols. Au pied du col de Cabre on trouve un autre Mansio Boarium, et pas très loin de là on trouve Mansio Jugorum, joug de bœufs, (Jonchères). Estellon (Stella) signifiait que l’on quittait la vue du ciel pour s’enfoncer dans la gorge de Trente Pas.

Après Villa Perdici (Villeperdrix) la voie descendait vers le pont de la Thune, puis suivait sur la rive droite, à 50 m de hauteur, un chemin creusé dans les bancs de rocher, pour arriver à Saint-May. Après Saint-May la voie traversait deux fois la rivière, sans aucun pont. Quand l’eau était trop abondante il fallait suivre le chemin piéton, à flanc de montagne, relativement dangereux, et en 1859 le facteur, qui l’empruntait, fit une chute mortelle dans la rivière, le crâne fracassé.

À Rosans, les Millets rappellent certainement l’emplacement d’une borne militaire. Autour des Millets, la montée de Quint, Prelle, Batarelle ont conservé des noms à l’étymologie latine. Louis Montlahuc indique que vers 1870 la voie romaine de St-André à Verclause était encore bien visible, et qu’à cette époque, la municipalité de Rosans vendit, par adjudication, un tronçon de plus d’un kilomètre. Il indique également que l’on pouvait reconnaître, dans la descente de Bois de Trou, des ornières creusées dans le rocher, pour empêcher les chariots romains de glisser dans le ravin.

De Prata Mansii (col de Flachière) on pouvait communiquer par signaux avec Clarus Mons et Mercurius (Mereuil). Mercurius, qui veut dire porteur de nouvelles, pouvait aussi communiquer avec Mons Seleucus, et avec Segustero (Sisteron).

La découverte en 1960 par le chanoine Van Dame des vestiges d’un pont romain à Villeperdrix, qui daterait de l’an 150 de notre ère, apporte la confirmation d’une liaison Vaison-Die. La hauteur restante de ce pont est de 8,5 m, avec une arche d’une portée de 7,20 m environ. On ne la distingue pas sur le plan des voies romaines, telles que les définissait Louis Montlahuc.

Les distances parcourues

Se basant sur la distance le long du Rhône, indiquée par Polybe, c’est à dire huit cents stades parcourus en dix jours, Il estime qu’Hannibal parcourait environ 15 km par jour ( tout le monde sait que le stade est une mesure de longueur grecque, qui vaut 177,60 mètres ! ! !), ce qu’il considère comme une marche assez rapide vu la difficulté et l’étroitesse des chemins.

Il semble malheureusement, d’après les savants calculs de François de Coninck réalisés en 1992, que Polybe se soit mélangé dans les unités, en traduisant les distances, données par les Romains en milles (le mille vaut 1.480 mètres) en stades grecs (qui vaut 192,27 mètres, soit 600 fois la longueur du pied d’Héraclès).

Pour lui simplifier la tâche, le trajet Le Perthus-Carthagène était lui, défini en lieues gauloises (qui vaut 2.440 mètres).

De Coninck, utilisant et vérifiant la table de Peutinger, a déterminé que Polybe avait utilisé le facteur 10 au lieu du facteur 8 pour convertir ces distances : il en déduit que la distance Colonnes d’Hercule – Le Perthus est de seulement 6400 stades (en réalité 1184 km) et non 8000, comme indiqué par Polybe. Les valeurs de la table de Peutinger, rectifiées, se recoupent avec les gobelets de Vicarello. Il s’agit de quatre bornes militaires miniatures emportées par un habitant de Gadès se rendant à Rome. Ils énumèrent toutes les étapes avec distances et relais : Pour l’itinéraire qui nous occupent ils donnent comme étapes Tarragone, Nîmes et Turin : une forme ancienne, polyvalente, et indéchirable des cartes Michelin. Ces nouvelles distances sont les mêmes que celles indiquées par Strabon, un autre Grec, géographe fiable et reconnu.

Il ne faut pas croire que les Romains étaient ignares en terme de mesure des distances, car ils disposaient d’un instrument ingénieux, l’hodomètre. Un tambour fixé à la roue transmettait, par un système de dents, le nombre de tours de roues, à un tambour supérieur très démultiplié (400 dents correspondant à 400 tours de roues, soit 5 000 pieds, ou un mille romain). À chaque mille, un caillou tombait du tambour supérieur dans un récipient, et il suffisait de compter les cailloux pour connaître les milles parcourus.

Heureusement Louis Montlahuc a considéré les distances comme anecdotiques en raisonnant sur les journées de marche, bien que l’on puisse les interpréter aussi de nombreuses manières. Il a par d’ailleurs négligé les distances en Espagne.

Pour les Romains les étapes sont distantes d’environ un jour de marche, avec un itinéraire normalisé à 20 000 doubles pas journaliers. Cette norme a été par la suite assouplie en fonction des conditions géographiques : la moyenne serait de 30 milles (45 km), les juristes estimant peu pénible le parcours de 20 milles (30 km). Mais il existait des relais simples, tous les 6 à 8 milles (9-10 km), selon les difficultés géographiques. La distance de 15 km retenue par Louis Montlahuc semble donc à peu prés crédible.

Je met en correspondance ci-après, comme lui, les textes des deux historiens (en supprimant toutefois certaines de ses digressions … qui n’ajoutent rien à la compréhension du récit).

Je reprends ensuite ses commentaires, que j’essaie de canaliser et d’ordonner, car dans le feu de ses démonstrations, soucieux de convaincre, il est quelque fois confus et répétitif. J’ajoute quelques observations personnelles pour expliquer et éclaircir certains points délicats. Comme Louis Montlahuc, je suis né à Rosans : je connais très bien la Région et même l’ensemble des Alpes.

La préparation et les débuts de l’expédition

Polybe – Chapitre VIII

Hannibal ayant pourvu à la sûreté de l’Afrique et de l’Espagne n’attendit plus que l’arrivée des courriers que les Gaulois lui envoyaient …. Il comptait beaucoup sur les Gaulois et se promettait de leurs secours toutes sortes de succès. Pour cela il dépêcha avec soin des courriers à tous les petits rois des Gaules, tant à ceux qui régnaient en deçà qu’à ceux qui demeuraient dans les Alpes.

Polybe – Chapitre VIII

Les Boïens apprenant que les Carthaginois approchaient et se promettant beaucoup de leurs secours se détachèrent des Romains et entraînèrent dans leur révolte les Insubriens.

Tite-Live – Chapitre XXI

Hannibal après la chute de Sagonte était allé prendre ses quartiers d’hiver à Carthagène (219 avant Jésus-Christ ). Il accorde un congé à ses soldats et les attend au retour du printemps…

Tite-Live – Chapitre XXIII

Il passe l’Èbre sur trois points, ayant soin d’envoyer en avant des gens chargés de gagner par des présents les Gaulois dont il devait traverser les terres, et de reconnaître ensuite le passage des Alpes.

Tite-Live – Chapitre XXIV

Il traverse les Pyrénées et soumet les divers peuples qui se trouvent à proximité; il laisse à son lieutenant Hannon le soin d’établir des postes dans ces pays et dans ces gorges. Ensuite il se dirige vers le Rhône.

Tite-Live – Chapitre XXV

Les Boïens se soulèvent contre Rome en apprenant la marche d’Hannibal. Les Boïens ou Ségusiens avaient pour capitale Suze sur le versant oriental des Alpes.

La traversée du Rhône

Polybe – Chapitre VIII

P. Cornelius met ses troupes à terre, à l’embouchure du Rhône, qu’on appelle embouchure de Marseille ; il apprend qu’Hannibal est arrivé sur les bords du Rhône, après avoir obtenu des Gaulois soit par l’argent, soit par la force tout ce qu’il voulait. Ne pouvant le croire il envoie comme éclaireurs trois cents de ses cavaliers. Hannibal arrivé à quatre journées de l’embouchure du Rhône, entreprit de passer, parce que ce fleuve n’avait là que la simple largeur de son lit. Pour cela, il commença par se concilier l’amitié de tous ceux qui habitaient sur les bords. Tout était prêt, lorsqu’un grand nombre de barbares s’assembla sur l’autre bord, pour s’opposer au passage des Carthaginois.

Polybe – Chapitre VIII

Après avoir préparé une quantité extraordinaire de bateaux pour son passage, il détacha, à l’entrée de la troisième nuit, une partie de son armée sous le commandement d’Hannon et lui donna pour guides quelques gens du pays. Ce détachement remonta le Rhône jusqu’à environ deux cents stades, où il trouva une petite île qui partageait le Rhône en deux. Hannon passe le fleuve sur des radeaux et se repose un jour dans un poste avantageux. La cinquième nuit, Hannon allume un feu comme signal. Au point du jour Hannibal commence à passer et pendant que les Barbares se portent tous sur la rive pour empêcher l’armée d’Hannibal d’atterrir, Hannon fond sur les derrières des Barbares, met le feu à leur camp et, avec le concours des soldats débarqués d’Hannibal, en tue beaucoup et oblige les autres à prendre la fuite.

Polybe – Chapitre IX

Hannibal, maître du passage, fit traverser le fleuve à ce qui restait de troupes sur l’autre bord et campa cette nuit le long du Rhône. Le matin apprenant que les Romains étaient arrivés à l’embouchure du Rhône, il détacha cinq cents cavaliers numides pour reconnaître où étaient les ennemis, combien ils étaient et ce qu’ils faisaient. A peine sortis du camp, ils rencontrent les cavaliers Romains ; un combat meurtrier s’engage, cent quarante cavaliers Romains et deux cents cavaliers Carthaginois périrent…

Hannibal réunit son armée, fit approcher Magalus, petit roi qui était venu le trouver des environs du Pô et lui fit expliquer aux soldats, par un interprète, les résolutions qu’avaient prises les Boïens de guider les Carthaginois dans leur marche à travers les Alpes et de partager leurs périls.

« Il leur promettait de les conduire jusqu’en Italie par des lieux où ils ne manqueraient de rien et par où leur marche serait courte et sûre. »

Magalus retiré, Hannibal exhorte ses troupes, leur donne l’ordre de se tenir prêtes à décamper le lendemain matin, puis il congédie l’assemblée.

Tite-Live – Chapitre XXVI

Les sénateurs romains envoient P. Cornelius pour empêcher Hannibal de traverser le Rhône. Cornelius avec 60 vaisseaux, arrive à Marseille, où il débarque. Il remonte le Rhône et, comme ses troupes n’étaient pas encore assez reposées pour combattre, il envoie en avant 300 de ses cavaliers pour surveiller Hannibal.

Les Volques, dont la puissante nation tenait les deux rives du Rhône, abandonnent la rive droite et se portent sur la rive gauche, pour en défendre le passage.

Hannibal devient l’ami des Volques qui n’avaient pas passé le Rhône et ces derniers, pour ne pas avoir la charge de garder plus longtemps son armée sur la rive droite, l’aident et le facilitent pour confectionner des bateaux.

Tite-Live – Chapitre XXVII

L’armée des Volques était sur la rive gauche et lorsque tout est prêt pour le passage, Hannibal envoie Hannon, à une journée de marche au-dessus pour traverser le Rhône à un gué où se trouvait une petite île qui divisait et rendait moins profond le fleuve.

Tite-Live – Chapitre XXVIII

Hannon passe sur l’autre rive et pendant qu’Hannibal fait semblant de forcer le passage du Rhône, Hannon prend les Volques par derrière et les taille en pièces.

Tite-Live – Chapitre XXIX

Hannibal fait ensuite traverser le Rhône à ses troupes et à ses éléphants. Cornelius Scipion, envoyé par Rome pour arrêter Hannibal au passage du Rhône, apprend en débarquant, que la plus grande partie de l’armée d’Hannibal était déjà sur la rive gauche. Il envoie en éclaireurs trois cents de ses cavaliers pour surveiller l’ennemi… Un combat meurtrier s’engage entre ses trois cents éclaireurs et les cinq cents cavaliers qu’Hannibal avait lancé contre eux. Hannibal était incertain, s’il poursuivrait sa route vers l’Italie ou s’il combattrait cette armée… Il fut détourné de cette dernière idée par l’arrivée des députés Boïens et de leur chef Magalus.

Tite-Live – Chapitre XXX

Dès qu’Hannibal eut pris cette détermination, il tint une assemblée générale et fit part à son armée de sa décision.

Commentaires de Louis Montlahuc

Polybe spécifie bien qu’Hannibal a passé le Rhône à environ quatre jours de marche de son embouchure. C’est-à-dire, en se basant sur une distance de 15 km par jour, à une distance de 60 km environ, c’est-à-dire vers Tarascon. Il est nécessaire de se rappeler qu’Hannibal avait, avant son départ de Carthagène, envoyé de nombreux émissaires pour préparer la route et se créer des alliés. Après le passage du Rhône il aurait dû normalement prendre le chemin le plus direct, et remonter toute la vallée de la Durance, mais pour éviter, aussi bien les Saliens et les Massaliotes (ils habitaient au nord de Marseille et étaient des alliés des Romains) que les légions envoyées à l’embouchure du Rhône pour l’arrêter, il fut obligé de remonter la vallée du Rhône.

Observations

Il est communément admis qu’Hannibal traversa le Rhône au sud d’Avignon. C’est la route la plus directe du Languedoc à la Provence. L’île qui aurait aidé Hannon à traverser se trouve au sud d’Aramon, à une journée de marche, soit 15 km, de Beaucaire / Tarascon.

La remontée de la vallée du Rhône

Polybe – Chapitre IX

Quand les éléphants furent passés sur les radeaux, Hannibal fit d’eux et de la cavalerie son arrière-garde et marcha le long du fleuve, prenant la route de la mer vers l’Orient…

Polybe – Chapitre X

Hannibal après quatre jours de marche, vint près d’un endroit appelé l’Isle, lieu fertile en blés et très peuplé et à qui l’on a donné ce nom parce que le Rhône et le Scoras coulant des deux côtés, l’entourent et la rétrécissent en pointe à leur confluent… Cette île ressemble assez au Delta d’Égypte, avec cette différence… qu’ici ce sont des montagnes presque inaccessibles qui bornent l’un des côtés de l’île… Hannibal trouva dans cette île deux frères qui armés l’un contre l’autre… (Hannibal soutint l’aîné et en remerciement reçut des vivres, du matériel)… Mais le plus grand service qu’il en tira, fut que ce roi se mit avec ses troupes à la suite de celles d’Hannibal, qui n’entrait qu’en tremblant dans les terres des Gaulois et les escorta jusqu’à l’endroit d’où ils devaient entrer dans les Alpes.

Tite-Live – Chapitre XXX

… En quatre campements, le quatrième jour, il parvient à l’Isle. C’est là que le Scoras et le Rhône, descendant de deux points différents des Alpes réunissent leurs eaux, après avoir embrassé une certaine étendue de pays : ce qui fait donner le nom d’Isle à l’espace ainsi entouré d’eau… Près de là, sont les Allobroges… Deux frères se disputaient le trône : l’aîné, nommé Brancus… En récompense il reçut des vivres … surtout des vêtements, dont les froids redoutables des Alpes forçaient de se munir.

Commentaires de Louis Montlahuc

Après quatre jours de marche, c’est-à-dire, toujours sur la base d’environ 15 km par jour, 60 km pour cette partie du trajet, on ne peut qu’arriver au confluent du Rhône et de l’Aigues, au nord immédiat d’Orange. Les historiens qui ont placé l’endroit appelé l’Isle au confluent du Rhône et de l’Isère ont commis une grave erreur… car la distance entre l’embouchure du Rhône et ce confluent Rhône – Isère est d’environ 210 km, ce qui aurait nécessité quatorze journées de marche et non huit, comme indiqué.

La rivière Scoras, indiquée par Polybe, est le nom primitif de l’Aygues ou Eygues. Son étymologie celtique peut être : sik-ar ou sek-ar. Sik signifie force, torrent ; ar signifie eau, d’où « eau vive, torrentielle ».

L’Aygues qui prend sa source à Pra de Mians (Prata mansii) n’est pas très importante, ni en longueur, ni en débit.

L’Esclate, issue de Ribeyret, ancienne Scoras large (Scoras lata) est un peu plus longue et beaucoup plus abondante. C’est elle, donc, qui a donné son nom à la rivière, qui, appelée d’abord Scoras, a pris ensuite le nom de la gorge (étranglée = angustiae) au fond de laquelle elle coule pendant plus de 15 km et, par suite a perdu, d’abord dans cette gorge, puis sur tout son parcours son nom de Scoras, pour prendre celui de Agko ( ? ), devenu par altération Aygues. Le rocher de Phrancagnole (faragi agko) situé après Verclause, possède la même étymologie, il signifie faille encaissée, étranglée, où passe une route.

L’argument qui combat la thèse du passage par la vallée de l’Isère, est qu’Hannibal aurait dû traverser deux fois cette rivière, une première fois vers Romans, une deuxième fois vers Grenoble. Les anciens auteurs n’auraient pas manqué de mentionner ces deux traversées qui auraient été aussi terribles que celles du Rhône et de la Durance, dont ils parlent comme choses de la plus grande difficulté.

Observations

Tous les traducteurs de Polybe ont buté sur le nom de Scoras, sans trouver de réponse. Ils ont tous pensé, sans trop chercher plus loin, que l’Isère répondait bien au problème … tant pis pour l’étymologie. D’autres ont traduit par Saône, ce qui n’est pas la route la plus courte annoncée par Magalus. Les deux passages de l’Isère ne me semblent pas obligatoires, car la route par la rive gauche peut être aussi bien envisagée que celle de la rive droite. Ce sont d’autres raisons qui interdisent cette hypothèse.

Le début des Préalpes, premières difficultés

Tite-Live – Chapitre XXXI

Lorsque après avoir apaisé la division des Allobroges, il se mit en marche vers les Alpes, il ne prit pas le droit chemin, mais il tourna sur la gauche vers le pays des Tricastiniens, puis suivant la lisière du pays des Voconces, il arrive chez les Tricoriens sans avoir rencontré d’obstacles, jusqu’à ce qu’il fut parvenu sur les bords de la Durance. Cette rivière qui sort aussi des Alpes est, sans comparaisons, la plus difficile à passer de toutes celles de la Gaule. En effet, quoiqu’elle ait beaucoup d’eau, elle ne porte pas bateau, parce qu’elle n’est point retenue dans ses rives… Grossie alors par des pluies subites, elle occasionna un grand tumulte pour le passage.

Commentaires de Louis Montlahuc

Tite-Live, au contraire de Polybe, commence à décrire succinctement les lieux parcourus par Hannibal depuis l’Isle jusqu’au sommet des Alpes. Ce n’est qu’après qu’il décrit les difficultés rencontrées. Il emploie à tort et à travers les deux termes « Allobroges » et « Barbares ». Allobroges veut dire « étrangers », par opposition aux peuples qui habitaient la région : il s’appliquait aux Celtes qui étaient venus du Nord quelques années auparavant. Barbare a le même sens, ce n’est que plus tard qu’il prendra un sens péjoratif.

Par la suite le terme « Allobroges » définira un peuple très puissant, habitant l’Isère et la Savoie, qui, pour ne pas mécontenter les Romains, étaient restés neutres vis à vis d’Hannibal.

C’est cette mauvaise utilisation de ce nom qui a alimenté la confusion sur le véritable parcours. Par son expression « per extremam oram vocuntiorum », Tite-Live a bien voulu désigner les limites qui séparaient les deux régions administratives des Voconces, et non pas la limite entre les Voconces et les Allobroges, formées par les crêtes du Vercors et du Royannais, culminant à 2000 m.

Les Voconces (on parle quelquefois de la Fédération des Voconces) avaient deux capitales qui étaient Die, au nord, et Vaison, au sud. Chacune de ces villes était à la tête d’une région administrative indépendante (Strabon livre IV).

Hannibal aurait pu, et certainement il l’a envisagé, suivre la vallée de la Drôme, moins hostile que celle de l’Aygues, mais les Voconces de Die lui avaient refusé le passage, tout comme les Voconces de Vaison lui interdirent la route directe par Vaison et Nyons. Une des autres raisons pour éviter Nyons était que les Neomagiens (Neomagus est l’ancien nom de Nyons) étaient en guerre avec une ville voisine.

Tite-Live parle de deux peuples, d’abord des Tricastiniens qui habitaient vers Saint-Paul-trois-Châteaux, ensuite des Tricoriens, qui habitaient la vallée du Buëch. Strabon précise, ce qui constitue une confirmation, que les Tricoriens habitaient, à l’est des Voconces, les premiers contreforts de la chaîne des Alpes. Tricastini ne veut pas dire trois châteaux, mais trois tresses, sans doute une particularité de coiffure de cette tribu.

La phrase « sans rencontrer d’ obstacles » est certainement l’ajout intempestif d’un copiste, car elle est démentie par la suite du récit. Elle indique plutôt qu’il n’y eut pas d’obstacle naturel comme le Rhône, les attaques des Voconces étant des péripéties et non des obstacles.

Ces diverses routes se retrouveront, par la suite, dans les voies romaines, que nous avons décrites en annexe.

L’arrivée dans les Préalpes

Polybe – Chapitre X

Hannibal avait déjà marché pendant dix jours et avait fait environ 800 stades de chemin le long du fleuve ; déjà il se disposait à mettre le pied dans les Alpes, lorsqu’il se vit dans un danger auquel il était difficile d’échapper.

Tant qu’il fut dans le plat pays, les chefs des Allobroges ne l’inquiétèrent pas dans sa marche, soit qu’ils redoutassent la cavalerie Carthaginoise, ou que les Barbares, dont elle était accompagnée, les tinssent en respect. Mais quand ceux-ci se furent retirés et qu’Hannibal commença à entrer dans les détroits des montagnes, alors les Allobroges coururent en grand nombre s’emparer des lieux qui commandaient ceux par où il fallait nécessairement que l’armée d’Hannibal passât… Hannibal averti du stratagème… envoya quelques uns de ses guides gaulois reconnaître la disposition des ennemis. Ils revinrent lui dire que pendant le jour les ennemis gardaient leurs postes, mais que pendant la nuit, ils se retiraient dans une ville voisine…

La nuit venue, Hannibal donne l’ordre d’allumer des feux, et avec un grand corps d’élite, perce les détroits et occupe les postes que l’ennemi avait abandonnés.

Tite-Live – Chapitre XXX

Comme on commençait à gravir les premières pentes, on aperçut les montagnards portés sur les hauteurs…Hannibal fait arrêter les étendards, et envoie des gaulois reconnaître les lieux. Il campe entre mille précipices dans la vallée la plus étendue qu’il peut trouver… puis ces mêmes gaulois… l’avaient instruit que le défilé n’était gardé que pendant le jour et que la nuit chacun rentrait dans sa cabane ;

De grand matin il s’avance, au pied des hauteurs, comme pour forcer le passage ouvertement et en plein jour. Toute la journée se passa à simuler toute autre chose que ce qu’on projetait… Mais dès qu’Hannibal s’aperçut que les montagnards avaient abandonné les hauteurs… il franchit à la hâte les défilés avec une troupe légère… et s’établit sur les hauteurs que les ennemis avaient occupées.

Commentaires de Louis Montlahuc

C’est donc après dix jours de marche depuis la traversée du Rhône, c’est-à-dire six depuis son arrêt dans l’Isle (90 km environ), qu’Hannibal entre dans les Préalpes et rencontre sa première embuscade.

Hannibal ayant, comme on vient de le voir, renoncé à la route directe par Nyons, « continua tout droit vers le nord, vers le pays des Tricastiniens ». Il chemine donc par Bollène, Taulignan, Bouvières, puis il rencontre une première gorge qui est celle de Trente-Pas, entre les montagnes d’Angèle et de Milandre. Elle se trouve bien à huit cents stades, 148 km, du point de passage du Rhône, soit à 90 km de l’Isle. Elle a environ 3 km de longueur et les rochers qui la surplombent des deux côtés ont à certains endroits plus de 500 mètres de hauteur. Ce passage, normalement utilisé par les Voconces, faisait partie de la route directe entre les Voconces du Nord et ceux du Sud. Hannibal fait camper son armée à l’entrée des gorges, c’est-à-dire à l’Estellon, au col la Sauce, et à Bouvières.

Observations

Il semble ici que Louis Montlahuc préfère le sensationnel au réalisme, et qu’il voit la gorge de Trente-Pas, étroite et sauvage, digne de la légende d’Hannibal. Il n’avait pas à son époque de carte Michelin, qui nous montre entre Montjoux et Saint-Ferréol la route du col de Valouse, qui me semble mieux répondre aux descriptions.

En effet, après Montjoux, une petite vallée, suffisamment large pour permettre le passage d’une armée disciplinée, monte en pente douce jusqu’à 1 km du col de Valouse. On pourrait trouver là, mais plus difficilement ailleurs, ce défilé bordé de deux précipices escarpés, dont il est fait mention plus loin par Tite-Live. Après le col, avant Saint-Ferréol, on trouve un autre défilé moins sévère que celui de Trente-Pas, mais qui est autant propice à une embuscade.

Passage d’un défilé

Polybe – Chapitre X

Au point du jour, les Barbares se voyant dépostés, quittèrent d’abord leur dessein ; mais comme les bêtes de charge et la cavalerie, serrés dans ces détroits, ne suivaient que de loin, ils saisirent cette occasion pour fondre de plusieurs côtés sur cette arrière-garde.

Il périt là un grand nombre de Carthaginois, beaucoup moins cependant sous le coup des Barbares, que par la difficulté des chemins. Ils y perdirent beaucoup de chevaux et de bêtes de charge, qui dans ces défilés et sur ces rochers escarpés, se soutenaient à peine et tombaient au premier choc.

Le plus grand désastre vint des chevaux blessés, qui tombaient dans ces sentiers étroits et qui en roulant, poussaient et renversaient les bêtes de charge et tout ce qui marchait derrière.

Tite-Live – Chapitre XXXIII

Au point du jour, on leva le camp et le reste de l’armée se mit en marche… Déjà les montagnards… couraient aux postes accoutumés… quand tout à coup ils aperçoivent une partie des Carthaginois au-dessus de leurs têtes, sur leurs citadelles de rochers et les autres s’avançant par le chemin de la montagne…

Mais lorsqu’ils voient l’embarras de l’armée dans le défilé,… le désordre… l’épouvante des chevaux, persuadés que la moindre alarme ajoutée par eux suffirait pour perdre les ennemis, ils s’élancent de toute part du haut des rochers, accoutumés qu’ils sont à pratiquer les lieux les plus difficiles et les plus escarpés… Et comme le défilé était bordé par deux précipices escarpés, l’agitation de la foule fit tomber dans l’abîme plusieurs hommes tout armés ; mais quand les chevaux eux-mêmes y roulaient avec leurs charges, c’était avec le fracas d’un vaste éboulement.

Commentaires de Louis Montlahuc

Après avoir occupé les positions sur les hauteurs, il peut enfin passer les gorges de Trente-Pas, ce qu’il fait avant le jour. L’armée le suit aussitôt. Mais c’est entre Saint-Ferréol et Saint-May, que l’armée d’Hannibal aura le plus à souffrir. Aussitôt qu’une gorge était forcée, ces montagnards portaient leurs efforts sur la gorge suivante, jusqu’au moment où ils en étaient délogés et cela sur un parcours d’une quinzaine de kilomètres. Tous deux, Polybe et Tite-Live, expriment ces attaques successives.

Hannibal s’empare d’un fort et nourrit son armée

Polybe – Chapitre X

Hannibal pour remédier à ce désordre, qui par la perte de ses munitions, allait l’exposer au risque de ne pas trouver de salut, même dans la fuite, courut au secours des siens … et tombant d’en haut sur les ennemis, il en tua un grand nombre ; mais… il perdit aussi beaucoup de monde. Malgré cela, la plus grande partie des Allobroges fut enfin défaite, et le reste réduit à prendre la fuite. Il fit ensuite passer ces défilés… puis alla attaquer la ville d’où les ennemis étaient venus fondre sur lui… Il la trouva presque déserte… Il tira de cette ville quantité de chevaux… du blé, de la viande… sans compter que… il se fit craindre… leur ôta l’envie d’interrompre une autre fois sa marche.

Tite-Live – Chapitre XXXIII

Malgré l’horreur de ce spectacle Hannibal demeura quelque temps immobile, de peur d’augmenter le trouble et la confusion, mais lorsqu’il vit ses troupes coupées… il accourut de sa hauteur et culbuta l’ennemi du premier choc… ce trouble fut apaisé dans un instant, lorsque les chemins furent libres par la fuite des montagnards. Alors l’armée défila… presque en silence. Hannibal s’empara d’un fort, chef-lieu de cette contrée… il put nourrir son armée durant trois jours avec le bétail et le blé qu’il y trouva.

Commentaires de Louis Montlahuc

Hannibal a pu traverser en tête de sa colonne, et il campe à la Combe de Rémuzat, quand il apprend que son armée est en détresse entre le pont de la Thune et Saint-May. Il revient sur ses pas, remonte le cours de la Béoux, prend par derrière les montagnards postés sur les rochers situés sur les bords de la gorge et en fait un massacre épouvantable. De retour à la Combe, il suit à mi-côte la rive gauche de l’Aygues, arrive près de Pelonne, traverse l’Aygues et monte s’emparer de Clermont, qu’il trouve désert. Sur la lisière qui séparait les deux pays des Voconces, régnaient un certain nombre de petits roitelets presque indépendants. Le plus puissant était celui de Clermont, oppidum, qui situé à 400 mètres au-dessus des gorges (1 km avant Verclause), commandait la vallée. Hannibal fit ensuite camper son armée entre Pelonne et Verclause. Il lui donna deux jours de repos et la nourrit de contributions prélevées sur les bourgades.

Observations

Il convient de rappeler, avant toute chose, qu’Hannibal, a traversé la région en septembre, pleine saison des orages, et que l’Aygues devait être à son maximum.

Louis Montlahuc raconte la crue du 13 août 1866, à laquelle il assista à Rosans, et qui en 5 ou 6 heures dévasta la haute vallée de l’Aygues et se propagea jusqu’en Avignon, où le Rhône déborda. Hannibal n’a certainement pas pu suivre le lit de la rivière et il a dû, à certains endroits, cheminer à mi-pente, comme d’ailleurs le texte le signale, en mentionnant un chemin bordé de précipices des deux côtés. D’autre part si l’on examine les conditions nécessaires pour que les montagnards puissent attaquer depuis les hauteurs, on peut noter que les rochers doivent être à la fois facilement accessibles depuis les villages (on a vu qu’ils rentraient chez eux le soir) et en même temps, au surplomb immédiat du chemin emprunté par Hannibal (pour pouvoir jeter des pierres, seuls projectiles possibles, sur les Carthaginois). Il faut aussi que les villages voisins soient suffisamment peuplés pour pouvoir mener des attaques efficaces.

Il est facile de remarquer, quand on remonte la Route Départementale 94 depuis Nyons jusqu’à Rosans, que ces conditions sont relativement rares. Et que l’on ne les trouve qu’aux abords des villages de Villeperdrix et de Saint-May. Montlahuc est en contradiction avec lui-même, quand il indique qu’Hannibal a attaqué Clermont, situé au-delà de Rémuzat. Il serait plus vraisemblable de choisir Villeperdrix ou Saint-May, à la fois plus importants et plus près des gorges, lieux des combats.

La plaine de l’Isère, préconisée par certains, ne présente absolument pas ces conditions bien définies de gorges successives. Comment de plus envisager honnêtement un itinéraire qui implique, et Grenoble, et la traversée de la Durance. Quand à la solution Savoyarde c’est encore plus farfelu.

On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi beaucoup d’historiens négligent la Durance, qui est nommée et très bien décrite par Tite-Live. Ne sauraient-ils pas lire, trop pris par leurs thèses ?

Fin des Préalpes, nouveau péril

Polybe – Chapitre X

Le lendemain on continua de marcher. Pendant quelques jours la marche fut assez tranquille. Au quatrième, voici un nouveau péril qui se présente. Les peuples qui habitaient sur cette route… viennent au devant de lui, portant des rameaux d’oliviers et des couronnes sur la tête : c’est le signal de paix et d’amitié chez ces Barbares… ils venaient le prier de ne point leur faire de mal, et lui promettre de ne pas chercher à lui nuire… Hannibal… les prit pour guides… ils marchèrent à la tête des troupes pendant deux jours… Quand on fut entré dans un vallon qui de tous côtés était fermé par des rochers inaccessibles, ces perfides… vinrent fondre sur l’arrière-garde… L’infanterie pesamment armée, mise à l’arrière-garde soutint l’effort des ennemis…

Il périt un grand nombre d’hommes … car ces Barbares, avançant sur les hauteurs à mesure que les Carthaginois avançaient dans la vallée, tantôt roulaient et tantôt jetaient de grosses pierres… Hannibal fut obligé de se tenir pendant toute une nuit avec la moitié de son armée sur un rocher fort et découvert pour veiller à la défense des chevaux et des bêtes de charge ; encore cette nuit suffit-elle à peine pour les faire défiler.

Tite-Live – Chapitre XXXIV

Ensuite il arrive chez une autre nation (Tricoriens), fort nombreuse pour un pays de montagne. Là il faillit périr, non dans une guerre ouverte, mais par ses propres armes, par la perfidie et les embûches. Les chefs, qui étaient d’un grand âge, vinrent en députation… disant que le malheur des autres… qu’ils obéiraient aux ordres… et qu’ils le priaient d’accepter des vivres, des guides… Hannibal accepta… sans permettre à son armée de marcher en désordre, comme on fait avec des amis. Dès qu’on fut arrivé dans un chemin étroit, dominé d’un côté par une haute montagne, les barbares sortant tout à coup d’une embuscade, par devant, par derrière, de près, de loin, assaillent les Carthaginois, et font rouler sur eux d’énormes rochers…

L’armée courut un extrême péril et faillit être anéantie, car pendant qu’Hannibal hésitait à engager son infanterie dans le défilé, les montagnards, accourant sur le flanc de l’armée, la coupèrent et s’emparèrent du chemin, de sorte qu’Hannibal passa toute une nuit séparé de sa cavalerie et de ses bagages.

Commentaires de Louis Montlahuc

Les montagnards, s’enfuyant par le chemin muletier allant à Serres, à mi-flanc des montagnes de Raton, Le Fourchât, Maraysse, eurent le temps de s’entendre avec les Tricoriens, qui étaient établis le long du Buëch, pour dresser des embûches à Hannibal.

Strabon confirme bien que les Tricoriens habitaient, à l’est des Voconces, les premiers contreforts de la chaîne des Alpes. Ce nom de Tricoriens – Tri-Icarii – signifie habitants le long de la rivière Icarii (on trouve ce même genre de préfixe Tri- en plusieurs endroits de France, par exemple les Triboci habitaient les bords du Rhin, les Tricastinis les bords du Rhône, etc.). La réunion des deux rivières Icarii donnait Bi-icarii. C’est l’étymologie de Buëch, plus exactement du confluent des deux Buëch.

Leur capitale était Mons Seleucus (La Batie-Montsaléon), qui fut par la suite un grand nœud de communication des Romains. Le fait qu’ils aient apporté des rameaux d’olivier renforce la thèse du passage d’Hannibal par cette voie : il y en avait en effet à quelques kilomètres au sud, vers Sisteron. Où auraient-ils trouvé des oliviers dans la vallée de l’Isère ? C’est donc par le col de Flachière et Méreuil que les Tricoriens emmenèrent Hannibal, sur 30 km (deux jours de marche). La solution qui s’imposait était de continuer par Savournon ; mais les Tricoriens tendant un piège à Hannibal, le firent passer par Serres, pour lui faire traverser la gorge très étroite qui se trouve au nord de ce village. Puis pour l’attaquer quand la moitié de l’armée eut traversé, d’où les difficultés rencontrées et l’isolement d’Hannibal, pendant une nuit, sur un rocher pour défendre ses bêtes de charge.

Hannibal avait marché quatre jours de Clermont à La Bâtie-Montsaléon (soit 60 km).

Observations

À gauche on voit l’entrée du défilé, qui s’écarte, puis se resserre un kilomètre plus loin.

C’est dans la partie plus large, en haut à droite qu’Hannibal aurait attendu le jour.

Cet itinéraire parait assez pertinent compte-tenu des difficultés du passage de Montclus. Ensuite, quand on quitte Serres, on rencontre, tout de suite après le village, une première gorge avec d’un côté une paroi assez haute et raide (la route a été, en cet endroit, en décembre 1995 coupée par un éboulement), puis 1 à 2 km plus loin une autre gorge plus longue et tout aussi raide. Entre les deux, une zone plus hospitalière, qui correspond bien à l’idée que l’on peut se faire sur l’endroit ou Hannibal a été isolé. Et ce d’autant plus que le Buëch devait être, à cette époque de l’année, tout aussi haut que l’Aygues.

Cette thèse est renforcée par la suite du texte, car les deux auteurs indiquent que la Durance était en crue.

L’approche des Alpes par la Durance

Polybe – Chapitre X

Le lendemain, les ennemis s’étant retirés, il rejoignit sa cavalerie et s’avança vers la cime des Alpes. Dans cette route, il ne se rencontra plus de Barbares qui l’attaquassent en corps, quelques pelotons seulement voltigeaient en quelques endroits, et se présentant tantôt à la queue, tantôt à la tête, enlevaient quelques bagages… Après neuf jours de marche, il arriva enfin au sommet des montagnes. Il y demeura deux jours, tant pour faire reprendre haleine à ceux qui y étaient parvenus heureusement, que pour donner aux traînards le temps de rejoindre le gros de l’armée. Pendant ce séjour on fut agréablement surpris de voir, contre toute espérance, paraître la plupart des chevaux et des bêtes de charge qui, sur la route, s’étaient débarrassés de leurs fardeaux, et qui sur les traces de l’armée, étaient venus droit au camp.

Tite-Live – Chapitre XXXIV

Le lendemain, les agressions des Barbares s’étant ralenties, les troupes se rejoignirent et le défilé fut franchi, non sans une certaine perte, mais plus en bêtes de charges qu’en hommes… Les éléphants marchaient très lentement dans les chemins étroits et escarpés, mais leur présence mettait les soldats à couvert de l’ennemi qui craignait d’approcher de trop près ces animaux inconnus. Le neuvième jour, on atteignit le sommet des Alpes, après avoir passé par des chemins non frayés et après s’être égaré souvent… On s’arrêta deux jours sur ces hauteurs, pour laisser prendre du repos aux soldats fatigués par les marches et les combats, et quelques bêtes de somme, qui avaient roulé sur les rochers, revinrent au corps, en suivant les traces de l’armée.

Commentaires de Louis Montlahuc

L’armée passa à Gap, Chorges (Caturiges) ; elle traversa la Durance prés de Prunières, arriva à Embrun, Briançon et enfin au bout du neuvième jour au col du Montgenèvre où elle se reposa deux jours. Ce qui représente le trajet de 135 km, que l’on mesure sur la carte. C’est seulement au gué de la Durance (ad Druentiam), près de Prunières que l’on peut dire que l’on rencontre les grandes Alpes. C’est, à n’en pas douter, le point désigné par Polybe, lorsqu’il dit que l’on compte 1.400 stades (259 km) depuis le passage du Rhône jusqu’au commencement des Alpes d’où l’on va en Italie.

Observations

Polybe indique, et Tite-Live reprend les mêmes termes, que c’est le neuvième jour après ces agressions, que l’on atteignit le sommet des Alpes. Les auteurs qui privilégient le Queyras ne tiennent pas compte de ce délai, car mettre neuf jours d’Abriès au col La Croix n’est pas très réaliste.

La descente vers la plaine du Pô

Polybe – Chapitre XI

On était alors à la fin de l’automne, et déjà la neige avait recouvert le sommet des montagnes… et comme du haut des Alpes, qui semblent être la citadelle de toute l’Italie, on voit à découvert toutes ces vastes plaines que le Pô arrose de ses eaux, il se servit de ce beau spectacle, unique ressource qui lui restait, pour remettre ses soldats de leurs frayeurs… Le lendemain il lève le camp et commence à descendre… La descente était étroite, raide et couverte de neige. Pour peu que l’on manqua le vrai chemin, l’on tombait dans des précipices affreux… Enfin on arrive à un défilé qui s’étend à la longueur d’un stade et demi et que les éléphants ni les bêtes de charges ne pouvaient franchir. Outre que le sentier était trop étroit, la pente, déjà rapide auparavant, l’était encore davantage depuis peu par un éboulement des terres. La première pensée d’Hannibal fut d’éviter le défilé par quelque détour. Mais la neige ne lui permit pas d’en sortir… Sur la neige de l’hiver précédent, il en était tombé de nouvelle ; … Mais quand elle eut été foulée et que l’on marcha sur celle de dessous qui était ferme et qui résistait, les pieds ne pouvant s’assurer, les soldats chancelants faisaient presque autant de chutes que de pas… Il fallut chercher un autre expédient. Hannibal prit le parti de camper à la tête du défilé, et pour cela en fit ôter la neige. On creusa ensuite par ses ordres un chemin dans le rocher même et ce travail fut poussé avec tant de vigueur, qu’au bout du jour… les bêtes de charge et les chevaux descendirent sans beaucoup de peine. On les envoya aussitôt dans les pâturages et on établit le camp dans la plaine, où il n’était pas tombé de neige. Restait à élargir assez le chemin pour que les éléphants y puissent passer… on ordonna cette tache aux Numides… qui purent à peine finir en trois jours. Au bout de ce temps les éléphants descendirent, exténués par la faim, et ne pouvant qu’à peine se soutenir… L’armée descendit la dernière et au troisième jour, elle entra dans la plaine, mais de beaucoup inférieure en nombre à ce qu’elle était sortie de l’Espagne.

 Tite-Live – Chapitre XXXV

Déjà, las de tant de souffrances, la chute de la neige au moment du coucher des Pléiades vint ajouter à leur consternation… L’armée continua sa marche… Du reste, la descente fut bien plus pénible que la montée, parce que la pente des Alpes était moins longue du côté de l’Italie et par cela même plus raide. Le chemin presque tout entier était à pic, étroit et glissant, de telle façon qu’il était impossible de s’empêcher de tomber… mais hommes et chevaux roulaient les uns sur les autres au fond de l’abîme.

Tite-Live – Chapitre XXXVI

On parvint à une roche beaucoup plus étroite et tellement à pic que, le soldat sans armes et sans bagages, tâtonnant et s’accrochant avec les mains aux broussailles et aux souches… avait encore la plus grande peine à descendre. Ce lieu … avait été transformé en un précipice de mille pieds de profondeur par un récent éboulement… Ensuite pour rendre praticable la roche … les soldats étaient obligés de la tailler ; ils abattirent … des arbres énormes … ; puis ils y mirent le feu sous un vent violent très propre à exciter la flamme et versèrent sur la pierre brûlante du vinaigre pour la dissoudre. La pierre étant ainsi calcinée, ils l’ouvrent avec le fer … adoucissent la pente, de façon que les bêtes de somme et même les éléphants pussent facilement descendre. On passa quatre jours sur ce point et les chevaux furent prêts de mourir de faim, car ces hauteurs sont presque entièrement nues et le peu de pâture, qui s’y trouve est enseveli sous la neige. Les parties inférieures ont des vallons… et des sites plus dignes d’être habités par des hommes.

Là, on fit paître les chevaux et l’on donna trois jours de repos aux hommes fatigués… Enfin on descendit dans la plaine où tout s’adoucissait, le terrain comme le naturel des habitants.

Commentaires de Louis Montlahuc

 La descente des Alpes fut très pénible ; la pente en est très raide et, de plus, on était à la fin de l’automne et il était tombé de la neige. Un éboulement récent avait détruit le chemin et laissé le roc à vif, que la neige durcie recouvrait. Il fallut creuser un nouveau chemin dans ce roc. Les ingénieurs d’Hannibal employèrent les moyens usuels et Tite-Live donne la description exacte de cette opération, qui est des plus simples : avec des entailles dans le rocher, des coins de bois et de l’eau. On la pratique encore de nos jours dans la haute vallée de l’Aygues (elle a été utilisée par les Égyptiens : on voit à Assouan une obélisque en cours de taille avec les traces des entailles).

Les historiens ont mal traduit les textes grecs et latins qui disent : « … ardentiaque saxa infuso aceto putrefaciunt. Ita torridam incendio rupem ferro pandunt … » traduisez : « et versèrent sur la pierre brûlante du vinaigre pour la fendre. La pierre étant ainsi fendue et dégelée, ils l’ouvrent avec le fer … » (fendre et non dissoudre). Quoi de plus simple que cette opération qui nous vient des Romains ? C’est celle que j’ai (c’est Louis Montlahuc qui parle) fait pratiquer moi-même à Rosans, dans la vallée de l’Aigues, chaque fois que j’ai voulu avoir une pierre de taille pour un seuil de porte ou un escalier.

Ce moyen est bien préférable à la poudre qui brise la pierre. (Louis Montlahuc donne ici une longue description du processus). J’ai vu des blocs ainsi détachés mesurant plus d’un mètre cube, et cela avec à peine un litre d’eau.

C’est pour faire fondre cette neige et cette glace et aussi pour nettoyer le rocher avant l’emploi des coins et des pinces, que les ingénieurs avaient fait allumer du feu sur ces mêmes rochers. C’est aussi pour maintenir chaud le vinaigre bouillant, qui avait été versé sur les coins de bois, qu’ils ramenaient sur les entailles les charbons enflammés. Je crois avoir suffisamment expliqué ce point obscur de l’histoire.

Après deux jours de repos au col du Montgenèvre, il fallut quinze jours à l’armée pour arriver dans la plaine : elle avait parcouru 1200 stades (222 km) depuis le passage de la Durance, et au total 2600 stades (481 km) depuis la vallée du Rhône. Ce parcours avait été effectué en quarante trois jours. Tite-Live explique qu’il ne connaît pas le chemin exact suivi par Hannibal pour atteindre la plaine du Pô.

Résumé Général

Hannibal a quitté Sagunte au printemps vers le 10 juin.

Il lui faut environ 100 jours pour parcourir les 1000 km qui le séparent du Rhône. Il traverse le Rhône (transit Rhodanum) vers le 3 octobre près de Tarascon, à environ quatre journées de l’embouchure du Rhône. Polybe explique en plusieurs pages cette traversée, avec toutes les péripéties dues aux éléphants. Il lui faut environ 6 jours pour le traverser (9 octobre).

Il remonte le Rhône, passant près d’Avignon et d’Orange, jusqu’à un endroit appelé l’Isle (ad insulam), qui est à quatre jours de marche (13 octobre). L’ Isle, où il s’arrête 2 jours, se trouve au confluent du Rhône et de l’Aygues (Scoras).

Il tourne à gauche, vers le pays des Tricastins (per tricastinos), passe à Bollène, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Grignan, Taulignan, Montjoux (Mons Jovis), et (per extremam oram vocuntiorum) arrive, en 4 jours, aux premiers contreforts des Alpes, où se trouve la gorge de Trente Pas. Du passage du Rhône à ce point, il avait mis dix jours (du 9 au 19 octobre) et avait parcouru huit cents stades, soit cent quarante huit kilomètres environ.

Il continue sa route sur Villeperdrix, Saint-May, Pelonne (Clarus Mons), Verclause, Rosans, Saint-André, le col de Flachière (ad saltus Tricorios), Montjay, Trescléoux, Méreuil, Serres et La-Bâtie-Montsaléon (Mons seleucus).

Il avait employé : de Trente Pas à Clarus Mons trois jours de repos où de marche; à Claris Mons, deux jours de repos ; de là à Mons Seleucus, quatre jours de marche, soit neuf jours de Trente Pas à Mons Seleucus (du 19 au 28 octobre).

Il continue par Veynes, Gap, Chorges (Caturiges), et arrive au gué de la Durance (ad Druentiam), près de Prunières. C’est là qu’il rencontre les grandes Alpes.

De là il passe à Embrun, Plan de Phasi, Briançon, et arrive au col du Mont Genèvre, après neuf jours de marche depuis La-Batie-Montsaléon (1 au 9 novembre).

Pendant deux jours il fait reposer ses soldats, puis attaque la descente au « moment du coucher des Pléiades », c’est à dire le 11 novembre. Il semble que cette traduction ne soit pas exacte, car « Occidente jam sidere vergiliarum » signifie plutôt « Les Pléiades étant sur leur déclin » c’est-à-dire étant arrivées au point culminant de leur course, elles commençaient à descendre. En fait cette constellation ne se « couche » pas, et on la voit tout l’hiver. Dans ce temps-là ce coucher avait lieu le 10 novembre (Pline, Hist Nat, livre 2, ch 7 ), ce que confirme Varron.

C’est ce détail, donné par Tite-Live, qui permet de donner, avec cependant de très grandes précautions, la chronologie indiquée ci-dessus.

Il arrive quinze jours après (25 novembre) dans les plaines du Pô, après avoir parcouru douze cents stades depuis le passage de la Durance (222 km).

Soit au total, depuis le passage du Rhône jusqu’aux plaines de l’Italie, 2600 stades ou 481 kilomètres. Vingt huit jours du Rhône au Montgenèvre (du 9 octobre au 9 novembre), quinze jours pour arriver en Italie , c’est-à-dire quarante trois jours pour cette partie du parcours.

Cette explication par Louis Montlahuc du périple d’Hannibal repose sur quelques faits indiscutables qui sont les suivants :

  • Une chronologie qui parait, peut-être à tort, rigoureuse, et qui transforme les jours de marche en kilomètres.
  • Cette route, promise par les Boïens « par où leur marche serait courte et sûre », correspond mieux que d’autres à ce critère : c’est bien la plus courte entre Barcelone et Turin, on le voit tous les jours sur la route des vacances.
  • L’ identification de la rivière Scoras, jamais expliquée jusqu’alors, à l’Esclate (Scoras lata), donc à la vallée de l’Aygues.
  • La définition la plus vraisemblable jamais donnée des « confins des Voconces ».
  • Un accord approximatif entre les dates et des lieux possibles des combats.
  • La position indiscutable du peuple des Tricoriens dans la vallée du Buëch, et surtout l’incident des rameaux d’olivier qui à cette époque poussaient peut-être encore à Laragne (on en trouve à notre époque à Sisteron, à moins de 20 km au sud ).
  • La description très fidèle de la Durance (tout au moins avant la construction du barrage de Serre-Ponçon), et celle d’une crue de septembre tout à fait normale.
  • Très peu de cols des Alpes peuvent accueillir, comme le Montgenèvre, une forte armée pendant deux jours, et si le point de vue sur la Vallée du Pô n’est pas aussi lointain qu’en d’autres endroits … il ne faut pas confondre Hannibal avec le guide Michelin. Son seul but était de fixer un but à sa troupe, pour lui permettre d’attaquer avec courage une descente qu’il sentait très difficile.

Pour bien comprendre cette expédition il faut absolument faire confiance à Polybe, et n’utiliser Tite-Live que pour compléter ou préciser certains points. Toutes les confusions viennent du manque de rigueur de son récit, qui n’est pas chronologique comme celui de Polybe.

Texte écrit, complété et mis en forme par Édouard Bégou – février 1998 – septembre 2009